Lawrence d’Arabie
Michel Renouard
Editions Folio (Biographies) 2012, 320 pages
4e de couverture :
« Tous les hommes rêvent mais pas de la même façon. Ceux qui rêvent de nuit s’éveillent le jour et découvrent que leur rêve n’était que vanité. Mais ceux qui rêvent de jour sont dangereux, car ils sont susceptibles, les yeux ouverts, de mettre en œuvre leur rêve afin de pouvoir le réaliser. C’est ce que je fis. »
Derrière le héros mythique, joué par Peter O’Toole dans le célèbre film de David Lean, se cache un personnage complexe, non exempt de zones d’ombre. Archéologue et agent de renseignement, homme d’action et auteur des Sept Piliers de la sagesse, Thomas Edward Lawrence (1888-1935) se disait « à moitié poète », se voulait « intouchable », et mourut prématurément dans un accident de moto. Ce livre retrace la vie et les aventures de l’insaisissable Lawrence d’Arabie, dont Winston Churchill affirmait qu’il était « un des êtres les plus extraordinaires de son temps ».
Mon avis
Tout le monde connaît Lawrence d’Arabie… Le grand Peter O’Toole juché sur son méhari au sommet d’une dune, contemplant le sable à perte de vue ou lançant ses guerriers arabes à l’attaque. Même moi, alors que je n’ai jamais vu le film !
Au-delà du cliché universel, ce partenariat Folio-L@ était pour moi l’occasion idéale de remettre les pendules à l’heure et de faire le tri entre la légende et la réalité.
Pour moi, cette biographie a parfaitement rempli son rôle. De sa naissance à sa mort, l’auteur y dépeint l’histoire d’un homme imbriquée dans l’Histoire majuscule en cadrant parfaitement le contexte géopolitique dans lequel T.E. Lawrence s’est transformé en Lawrence d’Arabie. Les notes renvoyées en fin d’ouvrage permettent de lire ce livre comme un roman, en se laissant emporter dans le sillage d’un héros atteint de bougeotte chronique, parmi d’autres originalités. J’en garde l’image d’un personnage météorique, d’une comète qui a traversé une partie du monde et un pan d’histoire en réussissant l’exploit, par petites touches et par puissants interposés, de changer durablement l’avenir.
J’en retiens aussi l’impossibilité de définir vraiment toutes les motivations et le caractère profond d’un individu à part qui a visiblement suscité beaucoup d’interrogations. Ce livre m’a évidemment donné envie de lire les Sept Piliers de la sagesse, pour mieux comprendre Lawrence, mais j’ai eu beaucoup de plaisir à découvrir au passage un aspect déterminant de l’histoire mondiale – dont les conséquences sont toujours d’actualité, si l’on examine bien la géopolitique du Moyen-Orient actuel. Merci Folio et Livr@ddict !
Encore une occasion de me corriger moi-même tant j’ai de mal à me relire lorsque je rédige mes interventions sur mon iPhone ; premier paragraphe : « qui venait d’être vaincu par les Français… », Français bien sûr et pas Française.
On exagère l’importance des retombées de l’action de T.E. Lawrence au Moyen-Orient : ce qu’il a gagné sur le plan militaire (parce que la Grande-Bretagne tenait le canal de Suez et qu’elle avait les moyens en hommes et en argent [la cavalerie Saint-George]), il a perdu sur le plan politique, puisque son projet d’installer durablement Faysal à Damas n’a pas abouti. Cette intervention en faveur de Faysal en Syrie était son objectif essentiel, et il a échoué dans son entreprise. Obligé avec Gertrude Bell et Winston Churchill de trouver une solution de rechange en plaçant sur le trône irakien Faysal, qui venait d’être vaincu par les Française en Syrie,
ils ont bricolé quelque chose qui devait être néfaste aux Hachémites (puisque le fils de Faysal devait être assassiné par des Irakiens, ce qui montre bien que la solution imaginée par Lawrence était loin d’être idéale). C’est ce qu’a fait Lloyd George qui a durablement marqué le Moyen-Orient, pas ce qu’a fait Lawrence, que l’on ne voulait plus écouter en 1919.
François Sarindar
Décidément une correction en entraîne une autre (où je constate que rédiger un texte sur un iPhone n’est pas pratique) : « à la question », avec un accent grave sur à, cela va mieux.
Nouvelle autocorrection.
Un peu trop vite (et non pas : un peut…).
Et : « a la question Sheikh Ahmed (Dahoum, mort en 1917 ou 1918 selon les uns, et en 1916 selon les autres, du typhus selon toute apparence) était-il S.A.?, Lawrence a répondu clairement… »
Ainsi le passage est-il plus lisible.
Autocorrection. François Sarindar
Au sujet de S.A., le dédicataire du poème sur lequel s’ouvrent les Sept Piliers de la Sagesse, beaucoup d’encre a coulé et la plupart ont rallié l’hypothèse qui faisait de Dahoum le S.A. des Sept Piliers. Or Lawrence a prévenu le premier de ses biographes, Robert Graves, et ce devrait être un signe et un avertissement pour tous les biographes après lui : à la question Sheikh Ahmed (Dahoum mort en 1917 ou 1918 selon les uns, et 1916 selon les autres, du typhus selon toute apparence), Lawrence a répondu clairement en écrivant en marge d’un exemplaire de ce qui allait devenir le livre intitulé Lawrence et les Arabes (lire T.E. Lawrence to his biographer Robert Graves, Faber & Faber, Londres, 1938, pp. 16-17) : « Vous avez pris mes paroles trop à la lettre, S.A. existe toujours, mais loin de moi, car j’ai changé ». Il répondait donc : non, à ceux qui identifiaient S.A à Sheikh Ahmed (Dahoum). Les biographes de Lawrence qui ont suivi cette piste l’ont oublié un peut trop vite et c’est dommage. Tom Beaumont, artilleur, qui portait Lawrence aux nues, a ajouté à la confusion en déclarant plus tard que Sheikh Ahmed se prénommait en réalité Selim. Et plus encore Lawrence lui-même en ajoutant que dans les deux initiales (S.A.), l’une correspondait à un patronyme et l’autre à un nom de lieu, et ainsi il compliquait à souhait la tâche des biographes. Il semblait prendre un malin plaisir à les égarer.
Jean Beraud Villars avait compris cela ; l’hypothèse Sheikh Ahmed (Dahoum) ne le satisfaisait pas. Il m’a dit de creuser cette question, et c’est ce que j’ai fait. Pour moi, il faut chercher au plus près de Lawrence lui-même. Je pense donc que S.A. désigne donc Shérif Aurens (Lawrence était El Aurens pour les Arabes ; et Lawrence est justement le nom dont il avait volonté de se défaire après 1919, ce qu’il fit en 1922, et l’on sait qu’il deviendra J.H. Ross puis T.E. Shaw pour au moins conserver ses prénoms), soit Sarah Aurens (Sarah Lawrence, morte symboliquement mais non physiquement à ses yeux a partir de 1919 ; le fossé ne cessera de se creuser entre lui et elle, et c’est lui qui fera tout pour l’élargir). J’ai suivi mon chemin en m’appuyant sur les recommandations de Jean Beraud Villars, et voilà à quelles conclusions je suis parvenu. Cela me paraît plus réaliste que toutes les autres explications données jusque-là. Car j’ai toujours gardé en mémoire ce que Lawrence avait laissé entendre à Robert Graves, l’un de ses premiers biographes.
François Sarindar
Lawrence a plus marqué nos imaginaires que la carte géopolitique du Moyen-Orient : en 1918-1919, Llyod George cherchait un arrangement avec Clemenceau, et Lawrence avec son programme pour Faysal et la Syrie gênait cette solution de compromis. Lloyd George obtint ce qu’il voulait : la récupération par la Grande-Bretagne de Mossoul et de la zone pétrolifère imprudemment placée en 1916 dans la zone française par les accords Sykes-Picot, et cette restitution de Mossoul à l’Angleterre devait se faire contre un accord avec Paris sur la relève des forces britanniques en Syrie par des forces françaises. Lawrence ne pouvait que perdre, et le traité de San Remo qui accordait un mandat sur la Syrie et le Liban à la France et qui prévoyait que la Palestine et la Mésopotamie (Irak) devaient être placées sous contrôle britannique, ce traité validé par la Société des Nations enterra définitivement les projets de Lawrence pour la Syrie. Le général Gouraud, envoyé au Liban, fit parvenir un ultimatum à Faysal : reconnaissez le mandat concédé à la France, et la réponse de Faysal, devenu roi en Syrie, fut négative. La suite, on la connaît : défaite des troupes de Faysal à Khan Meissaloun et fuite de Faysal en 1920.
François Sarindar