Grâce aux éditions POINTS voici ma lecture d’Alan WARNER Le dernier Paradis de Manolo…
Merci à l’éditeur et à LA pour cette lecture inattendue et cette expérience inédite !
Quatrième de couverture :
« Voir Les Dents de la mer assis entre deux Japonaises, grandir entouré d’inconnus dans un hôtel, épouser la meilleure amie de son ex-femme… Le passé prend un sens différent lorsque Manolo apprend qu’il est atteint du sida. Luttant contre sa mélancolie, il accueille un immigré clandestin à qui il se confie. La découverte de l’altruisme et de la sincérité aura-t-elle raison de la vanité de Manolo ? »
Ma lecture :
Je crois que ce résumé, apparu parmi les divers « part’s » proposés toutes les semaines, est le premier à m’avoir interpellée. On y retrouve la fugacité d’instants anodins, enveloppée d’une mélancolie macabre, qui m’avait séduite dans les nouvelles de Haruki Murakami, Saules aveugles, Femme endormie.
Du coup peut-être m’attendais à quelque chose de trop précis, pollué par mes actuels questionnements, par de douloureuses péripéties survenues en parallèle de cette lecture et qui changeaient mes attentes et ma « part de cerveau disponible » (un coca et ça repart).
Mes réserves m’ont poursuivie au cours de mes premiers voyages avec l’oeuvre. Il a fallu pour me rendre compte qu’une petite magie s’opérait, l’alchimie délicieuse de la pleine immersion dans une oeuvre qui paraissait pourtant rompue au banal. J’étais dans le bus, tournant les pages tout en surveillant les arrêts. Quand est venue le mien je me suis levée, toute honteuse et fuyant les regards, contaminée par le monde de papier et ce qui s’y déroulait comme s’il cette vie s’était pleinement intercalée dans la mienne. Une première et tenter de dépecer cette alchimie sera complexe.
Paradant sur la couverture, on lit la sentence des Inrockuptibles : » L’un des meilleurs créateurs de personnages de la littérature contemporaine « .
Bon, ce doit être le consensus du moment : Libération et tous les autres se sont mis d’accord pour penser la même chose, et on ne prend même plus la peine de s’extasier sur d’autres aspects de ses oeuvres. La rançon de la gloire.
Si je m’attendais du coup à des personnages tranchants et complexes tels que peuvent les ressentit Hervé Bazin ou Dostoievski, certes ce n’est guère comparable. Le personnage n’est pas un parangon existenciel comme l’ombre du VIH nous le laisserait croire, annoncé dès le résumé, puis dès les premières pages où l’on ne se donne même pas la peine de nous le nommer. Mais putain, on ne peut s’empêcher de taxer l’auteur de plagieur, de croire qu’il ne maquille ici qu’une autobiographie. Car tout paraît trop précis dans des détails anodins pour avoir été inventé.
Pourtant il ne s’agit pas d’un premier roman, il aurait donc réussi à déteindre sur autant de pages ?
Nous avons mené pour vous une petite enquête…
Indice n°1 : la précision des personnages
Je crois que ce qui distingue l’écriture d’Alan WARNER c’est sa parfaite sensualité. N’y voyez pas malice, je ne parle que de la capacité à mettre à contribution ses cinq sens (pour le reste je confirmerai quand je l’aurai rencontré, Alan, si tu m’entends, j’ai une enquête à mener à bien !). Ah, enfin des lignes qui s’enchaînent moins pour nous donner le parfait plan géographique et coloré de la moindre scène mais qui sélectionnent aussi arbitrairement que nos sens le font « IRL » les impressions qui touchent, qui submergent ou juste se font notables.
L’eau, par exemple, devient une antienne sensuelle. On y redécouvre ses bruits inégaux, son immense opacité affolante, sa capacité à passer du multiple à l’unique et vice versa. On prête attention aux gouttelettes sur une peau chaude, aux vestiges moins purs qu’elles y solidifient, aux mythes qui nous traversent tous, la rendant tour à tour fascinante ou rebutante.
Le protagoniste principal est designer. Son attention va aux matières, aux formes. On ne connaît pas parfaitement le paysage, par contre on le voit logiquement évolué au fil des furtives impressions de sa vie. Sur une place dont je ne me souviens guère, la balustrade aurait été repeinte. J’ai l’impression d’avoir des souvenirs de l’enfance qui remontent, de ceux qu’on n’arrive plus malgré tous nos efforts à remettre dans l’ordre, à se rappeler des paroles exacts des uns, des visages des autres, de l’occasion qui nous avait rassemblés… mais oui, sans aucun doute, on verrait parfaitement cette fichue barrière et en la recroisant on aurait le « sentiment » que la couleur en était mieux avant. Ici une jupe courte n’est vraie que si le personnage peut réellement avoir froid aux fesses quand il s’assied. Sinon ce serait un décors inutile et surfait. M. WARNER semble le présumé innocent idéal…
Indice n°2 : la cohérence historique.
Nan mais sérieux, l’auteur connaît si bien son personnage que dès le début il fait mille flash-back, comptabilise ses aventures (ça va, pas de quoi rendre jaloux) et se rappelle des liens de chaque personnage avec un autre ? Il le connaît comme s’ils avaient vécu ensemble, et non comme s’il le construisait au fil des pages, avec le même soin scientifique que Balzac disséquant la vie conjugale.
On sent que chacun des personnages rapidement croisés a ses propres sensations fétiches, sa hiérarchie des choses importantes, son sens de l’humour, ses valeurs et ses ambitions. Même si… on s’en cogne, et que seuls nous seront livrés les souvenirs du héros sur ce personnage parfois sans nom. Fût-ce son enterrement. Leur densité nous surprend, et nous emmène implacablement vers un sens collectif de l’histoire, comme si, au côté de Lolo, nous devions comprendre les limites de notre égotisme.
La cohérence et les échos de ce « tissu de banalités » lui donnent une profondeur et un aura réaliste impressionnants. On a finalement hâte de retrouver ce beau soleil espagnol, cette balustrade et de s’installer à la terrasse d’un café pour voir la vie s’écouler doucement. Croiser ces vieilles âmes au coin d’une page légère.
Alan… ou devrais-je dire « Lolo »… coïncidence ? vous êtes le suspect principal, c’est âmes n’ont pas pu vieillir en 500 pages, elles ont dû maturer bien avant…
Indice n° 3 : L’écriture
M. WARNER essaie en fait de nous faire croire qu’il est désinvolte, pour traîtreusement nous laisser sur le cul devant son talent. Peut-être n’aurions-nous même pas fait attention à la subtilité du propos, à l’aiguisement du ressenti sur un thème à peine abordé en filigrane. Mais même cette pudeur étrange se fait cruciale. Pas de mot, pas de pensée pour une projection impossible, qui s’abîme dans un passé que l’on imagine retenir. M. WARNER fait de l’humour avec dureté sur les trivialités du quotidien. M. WARNER se joue des contradictions de ses personnages avec cruauté et tendresse, se fichant du besoin d’identification du lecteur et de toutes ces grosses ficelles. Pas de charisme ni pour un super-héros resplendissant ni pour un anti-héros ténébreux. Les hommes, les femmes, les vieux et les chats, chaque créature de ce démiurge pointilleux est aussi attirante que dévorée de TOC. Mais jusqu’à la plus discrète prend sa place dans ce conte cruel pour enfants désillusionné, ou pour enfant à réillusionné.
M. WARNER a une écriture dépouillée et diablement intelligente. Efficace, voire retorse.
Nous avons un coupable.
Conclusion
Franchement, je me suis même prise à rire en imaginant le sale coup qu’il avait pu faire à ses lecteurs en déjouant leurs horizons d’attente (bah oui je me suis faite avoir, et alors, mieux vaut rire des autres que pleurer sur soi !). C’est un parti pris dangereux. Peut-être que ceux qui ont déjà lu des ouvrages de cet auteur ne se font plus avoir. Un peu comme quand on regarde un énième film des frères Coen et qu’on attend le moment où l’écran de générique viendra supplanter l’action. Pour les autres, vue la tournure du quatrième de couverture (mais pourrait-on la rendre moins explicite encore ?), ils s’attendent nécessairement à autre chose. Et risquent une amère déception s’ils ne sont pas capable de renoncer à leurs envies pour se laisser guider par la main dans un monde de péripéties tâtonnantes, ou les lignes du chemin ne servent qu’à faire rebondir des échos et naître des correspondances.
J’aurais pu me lasser d’attendre que le livre « démarre », si je n’avais pas eu ce déclic au cours d’un voyage en bus de son « nindô » singulier.
Cela tient à un vacillement délicat, un changement de paradigme subtil, si digne du talent de M. WARNER finalement. Je lirai d’autres livres pour poursuivre cette enquête mais désormais je suis convaincue de les apprécier… en ne m’attendant plus à rien, me contentant de plonger à leur rencontre.