Le choc frontal entre Michael Young, thésard en histoire à Cambridge, et le professeur Zuckermann, vieux physicien obsédé par l’une des périodes les plus sombres du XXe siècle, va changer l’histoire – littéralement. Mais pour cela, il faut aussi compter sur une pilule miracle, sur le rival oublié d’un petit teigneux autrichien et sur la fatale élasticité du temps. Le pire n’est jamais certain, mais le mieux ne se trouve pas forcément non plus là où on l’attendait…
Tout à la fois uchronie brillante, thriller captivant et comédie romantique gay, Le faiseur d’histoire tient de Douglas Adams et d’Armistead Maupin pour son intelligence, son humour et son politiquement incorrect.
Mon avis
J’avoue, je n’ai pas immédiatement fait le lien entre Stephen Fry, auteur de romans, et Stephen Fry, comédien au savoureux humour britannique, qui a fait la paire avec un certain Hugh Laurie et que j’adore en psy cordon-bleu dans une « osseuse » série américaine. Merci donc aux éditions Folio et à Livr@ddict de m’avoir fait découvrir cette autre facette du personnage.
Plus que le nom de l’auteur, deux éléments m’ont donné envie de découvrir ce livre : le mot « uchronie », qui promet un joli télescopage d’ingrédients historiques, et une comparaison flatteuse avec Douglas Adams, dont le Guide du voyageur galactique est un de mes monuments préférés d’humour décalé.
Je me suis donc lancée sur les traces de Michael Young, jeune thésard passablement surdoué et légèrement décalé, dont le cerveau virevolte d’une idée à l’autre (et là, on pourrait croire qu’il s’agit de l’auteur lui-même). Son parcours alterne avec un récit historique ? romancé ? à la limite du sordide, dont les personnages évoluent quelque part à la frontière entre l’Autriche et la Bavière, à la fin du XIXe siècle. Une rencontre-choc, un projet fou né entre une tasse de café et un chocolat chaud, enfin, l’univers déraille. Enfin, un minuscule détail suffit pour que le destin de l’humanité s’imprime différemment dans les livres d’histoire. Le responsable de tant d’horreurs n’a pas existé, tout va donc pour le mieux. Vraiment ? Mais pourquoi s’imagine-t-on qu’en supprimant UNE variable d’une équation à quelques milliards d’inconnu(e)s, le résultat sera forcément meilleur ? Alors il faut pour les protagonistes tenter de rétablir la situation d’origine, boucler la boucle des petits détails qui changent l’histoire – mais est-on vraiment revenu à la situation de départ, d’ailleurs ? Et peut-on sereinement envisager que notre histoire, celle que nous avons vécue ou apprise à l’école, soit en fin de compte un mal pour un bien ?
Pire, meilleur… des jugements très subjectifs. À l’échelle des individus, dans l’immédiat, oui, les choses peuvent s’arranger, ou s’aggraver. Mais à l’échelle d’une civilisation, de l’humanité, à long terme, impossible de se prononcer. La seule conclusion indéniable, c’est que l’espèce humaine dispose globalement d’une capacité de nuisance envers elle-même impressionnante d’implacabilité, par le biais d’individus détenant le pouvoir de décider qui vivra ou mourra selon des critères totalement personnels.
J’ai beaucoup aimé cette démonstration de la futilité qu’il y a à se dire : « Et si untel n’avait pas existé, il n’aurait pas pu faire ceci ou cela ». Certes non, mais qui peut dire que personne n’aurait pris sa place et commis des actes aux conséquences tout aussi désagréables ? Une fois « entrée » dans l’œuvre, j’ai bien aimé l’humour grinçant, les chapitres en écho où tout semble se répéter jusqu’à ce qu’un grain de sable emporte le récit dans une direction toute différente, les clins d’œil sur les mérites respectifs des cultures britannique et américaine.
Par contre, le côté caricatural de l’ensemble m’a parfois dérangé. Michael ballotté par une Jane plus âgée, presque incestueuse dans son aspect maternel/maternant, un couple de copains qui se comportent comme les folles de la cage du même nom, un Alois cruel à l’excès avec une Klara si soumise : en fait, tous les sentiments sont poussés à l’extrême. Volonté d’enfoncer le clou sur les imperfections de l’humanité ? Mais j’avoue que j’ai adoré la pirouette du happy-end où Michael trouve l’amour pour de bon.
Surtout, le style de l’ouvrage a été un sacré frein pour moi. Comme son héros, l’auteur part dans toutes les directions. Récit à la première personne, chapitre historique, script de film, ce kaléidoscope agité m’a un peu donné la même impression que ces fichues séries télévisées où l’œil n’a pas le temps de se poser sur une image qu’elle vole en éclats. J’ai dévoré ce livre parce que je voulais connaître le fin mot de l’histoire, parce que je voulais me débarrasser d’une sensation de frénésie éparpillée, de l’impatience née d’avoir mis 260 pages, presque la moitié du livre, avant de comprendre comment s’emboîtaient les multiples pièces du puzzle étalé devant moi. Dévoré, pas vraiment savouré, et je reste un peu sur ma faim. Contrairement à mes habitudes, l’idée de relire ce livre ne m’est pas encore venue : la fin explique tellement le début que j’aurais l’impression de tricher en recommençant. Cette histoire est un cercle, c’est l’auteur qui le dit.
Stephen Fry
Le faiseur d’histoire
Folio S-F, 645 p, 2011
Traduit par Patrick Marcel