Merci à Livraddict et aux Editions du Moment pour la lecture de Travailler à tout prix ! de Nicolas Chaboteaux et Cédric Porte.
Quatrième de couverture :
« Didiiiier… mais il est où ce con ? Vous n’avez pas vu Didier ? De toute manière, je ne sais pas pourquoi je vous pose la question, vous ne savez jamais rien ! (…) Alors, vous ne moufetez pas, vous ne l’ouvrez que pour dire bonjour et au revoir, rien d’autre. Si le client vous pose une question, vous ne répondez pas. Vous n’êtes pas autorisé à parler. »
Après des années de chômage, Cédric et Nicolas retrouvent un boulot. Un parfum d’espérance souffle sur leur vie. Ils sont loin d’imaginer ce qu’ils vont subir. Bienvenue chez MSS, une PME dirigée par une patronne, façon tyran nordcoréen. Ici, règne le management par la terreur : délation, humiliation, contrôle absolu de l’individu. Cédric et Nicolas troquent un enfer contre un autre, plus pernicieux, plus violent. Mais que faire ? Le travail, leur bouée de sauvetage, les attire vers le fond… Aujourd’hui, pour certains dirigeants d’entreprises, le niveau élevé du chômage constitue une aubaine. D’abord parce que l’adage « un de perdu, dix de retrouvés » n’a jamais été aussi vrai. Ensuite, et surtout, parce que la peur de la précarisation développe chez les individus une aptitude à la soumission hors norme.
Une plongée dans les méandres d’une pratique scandaleuse en compagnie de deux salariés qui ont failli y laisser leur santé, leur personnalité, voire leur vie ! Un livre choc, souvent drôle car avec le recul les auteurs ont appris à rire de leurs déboires, mais aussi un manifeste pour redonner espoir à toutes les victimes du » travailler à tout prix « .
Mon avis :
La patronne de Nicolas et Cédric a tout d’une caricature, pourtant, on en connaît tous des « comme ça ». Des gens qui pensent que tout rapport est nécessairement un rapport de force, des gens qu’il est impossible de mettre en question, des gens qui traitent les autres comme des objets et non comme des personnes. Evidemment, lorsque ces gens occupent une position de pouvoir, ils deviennent dangereux pour les autres. Ce double témoignage a le mérite de ramener l’individu au centre du discours. Le travail est, comme le soulignent les auteurs dans l’épilogue, plus qu’une source de revenus. C’est un facteur d’intégration sociale et d’épanouissement personnel. Le travail symbolise notre utilité à la société, et lorsqu’il est consciencieusement effectué, la preuve de notre volonté d’être un acteur de notre monde et de se voir reconnu comme tel.
Mais à la MSS, Nicolas et Cédric passent par toutes les humiliations : on le prend leur nom, on les change de bureau tous les jours, on leur donne à accomplir des tâches obscures ou pour lesquelles on les prive du matériel indispensable, on les place sous surveillance et en position d’échec systématique. Si Nicolas et Cédric étaient des enfants, ce serait de la maltraitance psychologique. Comme ce sont des adultes salariés, c’est du harcèlement moral.
C’est le quotidien de ces pratiques qui est décrit précisément dans ce petit ouvrage, dans un récit au présent qui semble être le compte-rendu journalier d’une expérience professionnelle dévalorisante.
Le ton me paraît particulièrement bien choisi, il est celui du sarcasme, sarcasme qui permet de prendre de la distance et d’éviter l’auto-apitoiement et le misérabilisme. Une ironie complice qui est certainement ce qui a permis aux deux hommes de conserver leur lucidité et de dire stop à temps, ou presque. Ces deux-là ont de la chance de s’être rencontrés.
Car, ils le mentionnent brièvement, le harcèlement au travail est une situation qui isole. Le harcelé se retrouve seul, perd confiance en lui et en sa capacité à juger clairement de sa situation. Il peut finir par croire les critiques motivées, l’humiliation justifiée.
Je n’ai que deux critiques à formuler. Tout d’abord, la syntaxe n’est pas impeccable et le propos y perd en force. Ainsi, dans l’épilogue, les auteurs précisent : « Nous pensons que considérer le travail comme le seul moyen de subvenir à ses besoins est une voie trop restrictive, car travailler est d’abord indispensable à un équilibre psychique. » La suite du texte m’a permis de comprendre que les auteurs voulaient dire que le travail représentait plus qu’un simple moyen de gagner sa vie, mais cela n’était pas limpide en première lecture.
Deuxième critique, ou suggestion, je pense que l’ouvrage aurait gagné en pertinence si le témoignage de Cédric et Nicolas avait été davantage contextualisé dans un modèle socio-économique et politique, par une préface ou une postface rédigée par un journaliste spécialisé, ou un psycho-sociologue du travail. Les pratiques décrites dans Travailler à tout prix ! explosent dans une conjoncture qui leur est particulièrement favorable, et pas uniquement à cause d’un taux de chômage élevé. Elles sont symptomatiques d’un modèle particulier de société et existent dans les structures de toutes tailles, dans le privé comme dans le public.
En tout cas, bonne chance aux auteurs pour la suite et bravo pour l’humour avec lequel ils ont su rendre compte d’une expérience qui peut être très déstabilisante.