Muse de Joseph O’Connor

En 1907, à Dublin, le dramaturge irlandais John Synge, trente-sept ans, et la comédienne Molly Allgood, dix-sept ans, jolie et pauvre, vivent une passion dévorante et contrariée.
Si les personnages de « Muse » sont parfaitement réels, Joseph O’Connor précise dans l’épilogue que « la plupart des faits qui sont racontés ne se sont jamais produits» et que les « biographes pourraient avoir envie de la battre ». Je ne suis pas biographe et je n’avais jamais entendu parler de Molly et John avant la lecture du livre. Autant dire que je n’ai pas lu « Muse » autrement que comme un roman. Un très grand roman, s’il en est.

L’histoire commence à Londres, en 1952, où nous découvrons Molly, vieille actrice alcoolique sur le déclin, contrainte de vendre des bouteilles pour subsister. John est mort depuis longtemps, ravagé par un cancer.
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J’ai été subjuguée par le mode de narration de « Muse », tout à fait original. Le discours de Molly se parlant à elle-même, passe du « tu » au »je », d’un paragraphe à l’autre, parfois d’une phrase à l’autre, sans discontinuer. C’est ainsi que nous est livrée, par épisodes, avec d’incessants voyages entre présent et passé, l’histoire du Pygmalion et de sa Muse Molly l’« Enchanteresse », comme il la nomme.

Ces variations de pronoms personnels personnels et d’époques, de genres aussi (lettres, scènes de théâtre…), déroutent. Pour éviter de se perdre, il ne faut pas être pressé. «  Muse » est un roman qui se lit lentement, crayon à la main. A lire télévision éteinte, et surtout pas dans les transports en commun. Ce serait gâché. Je me suis réservée quelques soirées sans télévision, au calme, calée dans le canapé et du coup, relire certains passages pour être sûre d’avoir tout compris n’a pas été un problème. Muse est tellement bien écrit…  Trop bien écrit?  Figurez-vous que je me suis posée cette question bizarre.
Parce que toutes ces précautions, une lecture que j’ai essayée de rendre optimale, et surtout  l’absolue beauté du roman, ne m’ont pas empêché de rester comme en dehors des lignes.

J’ai bien aimé Molly, personnage haut en couleur, amusant et triste. Elle peut jurer comme un charretier et se montrer d’une incroyable douceur, surtout lorsqu’elle s’adresse à son amant. Mais elle ne m’a pas réellement touchée. Trop occupée à admirer la langue admirable de l’auteur, à lire et à relire ses phrases somptueuses, je me suis rendue compte que l’histoire et les personnages m’ont moins intéressés, au final, que la prouesse littéraire que constitue ce roman.
Il ne faut pas passer à côté de « Muse » c’est sûr. Surtout parce qu’une écriture aussi exceptionnelle que celle de Joseph O’ Connor ne se rencontre malheureusement pas tous les jours.
Parmi les nombreux passages soulignés, en voici un, que je trouve particulièrement époustouflant:

« Elle considère le cancer qui le dévore comme une armée de minuscules lumières envahissant peu à peu ses entrailles, sans laisser le moindre recoin intact. Elle se voit elle-même les éteignant une par une (…) S’il tousse en sa présence, elle le bénit en silence. S’il a le souffle court, elle fait une prière pour lui. Comme si elle observait une grande ville à l’approche de l’aurore, elle voit les lumières de son cancer s’éteindre l’une après l’autre. Elle imagine ses poumons -rayonnant de douleur- et l’éteignoir de sa bienveillance se met à l’oeuvre. Si seulement elle pouvait les toucher-les toucher physiquement-, l’air qui est en eux s’en trouverait adouci, purifié, renouvelé, et les flammes qui ne cessent de les consumer s’évanouiraient en fumée, telles des mèches pincées entre ses doigts. » (p. 104)

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