La petite sirène, bien que n’étant pas le conte le plus connu d’entre tous, exerce une fascination sur bon nombre d’entre nous car l’histoire est peuplée de créatures merveilleuses, mi-homme mi-poissons, telles que nous avons tous espéré en croiser au détour d’une rivière ou face au vaste océan. Réinventer le conte d’Andersen est un challenge de taille.
L’exercice de la réécriture, quand il colle trop au récit d’origine, peut se révéler parfaitement vain. Mais ce n’est pas le cas ici. Non seulement l’œuvre de Claire Carabas propose une histoire à la fois distrayante, intrigante et peuplée de créatures enchanteresses tout autant que l’original, mais en plus il parvient à apporter un nouvel éclairage à ce conte, si connu et pourtant trop souvent édulcoré, ou à l’inverse purement tragique lors de ses retranscriptions.
Je doutais du résultat final, mais force est de reconnaître que la noirceur du conte originel est respectée, déplacée mais transfigurée d’une façon audacieuse et jubilatoire. Galathée est si touchante, si entière, si passionnée !
Galathée, c’est donc la jeune sirène vivant dans de somptueux fonds marins, avec ses sœurs et son père ; celle qui se met à rêver du monde des hommes. La surface l’attire comme un insecte prêt à se brûler les ailes sur une trop forte lumière. S’approcher de cet univers lui est interdit, mais comme tous les jeunes individus, elle ne peut apprendre sans expérimenter l’odeur du danger par elle-même. Elle remonte haut, haut vers le ciel, jusqu’à la surface, et c’est alors qu’un bateau lui apparaît. Sur ce bateau, un jeune homme. Elle ne le sait pas encore, mais son nom est Yvon. Lui aussi la voit, de loin ; du moins il l’aperçoit, il ne sait réellement s’il a bien vu quelqu’un, ou bien s’il a rêvé. La sirène va se mettre en tête de le séduire à tout prix. Elle va le suivre, tenter de ne pas perdre sa trace. Elle est persuadée qu’ils sont faits l’un pour l’autre.
Heureusement ou malheureusement pour elle, à chacun d’évaluer la chose, de sombres créatures peuvent réaliser tous les souhaits… si la personne qui veut sceller le pacte est prête à sacrifier suffisamment. Las, quand on est amoureux, rien ne paraît plus terrifiant que la disparition de l’être aimé. Pour gagner l’affection de son jeune marin, Galathée est prête à braver toutes les souffrances, à affronter toutes les menaces.
J’ai apprécié la recherche de vocabulaire et de contexte concernant l’univers maritime, les spécificités de la vie marine, etc. Un charme indéniable se dégage des descriptions de cette vie sous la mer, de ces existences parallèles dont nous autres humains n’avons aucune connaissance.
J’ai trouvé l’ensemble de l’histoire un peu superflue, dans le sens où elle suit exactement l’histoire préexistante. Alors certes, elle lui apporte du dynamisme en alternant le point de vue de chaque amoureux, elle ajoute des détails, elle opère de légères variantes. Mes réécritures favorites sont celles qui vont loin dans la transformation du conte, qui le défont pièce par pièce, pour créer quelque chose de totalement différent, avec seulement des points de similarité à intervalles régulières, comme c’est le cas dans toutes les Chroniques lunaires de Marissa Meyer. L’inventivité doit être le maître-mot à mes yeux pour vraiment enchanter le lecteur. De ce point de vue-là, j’ai été énormément frustrée au cours de ma lecture. Même si la plume de l’auteur est sans aucun doute de qualité !
Cependant, deux passages m’ont complètement séduite par leur violence, leur noirceur et leur audace. L’une des deux survient lors de l’entrevue avec la sorcière des mers. Cela ressemble un peu plus à ce qui se passerait vraiment si on pactisait avec le diable… ou avec une sorcière mal intentionnée… La brutalité psychologique de voir son corps changer est très bien traitée.
La thématique du langage est aussi très présente, et explorée de diverses manières. (dommage que le langage des signes n’ait pas été davantage utilisé, son utilisation est amorcée puis totalement laissée de côté)
En ce qui concerne la seconde scène, je ne peux la dévoiler pour ne rien gâcher des surprises cachées dans le roman, mais ça en vaut la peine ! Cette fameuse scène s’est imprimée dans mon imaginaire et répond assez bien à ce que j’ avais pu échafauder étant enfant après lecture du conte, et visionnages d’un long métrage reprenant le conte -mais en étant fidèle, et qui était une vraie épreuve à regarder, à vrai dire.
Dans l’ensemble, malgré tout, cette réécriture constitue un bel hommage à l’œuvre d’Andersen. En restant globalement plutôt identique, elle apporte des petites touches de réinterprétations qui éclairent l’histoire sous un angle différent. Pour les amoureux du conte original, c’est un sympathique voyage dans les sphères sous-marines !