Je viens d’Emmanuelle Bayamack-Tam

Je viensJe viens
Auteur : Emmanuelle Bayamack-Tam
Edition : Gallimard (Folio)
Pages : 432

Résumé :

Un roman comique qui mouline les sujets qui fâchent, le racisme qui a la vie dure, la vieillesse qui est un naufrage, et les familles que l’on hait. Charonne – personnage récurrent des romans de l’auteur – chamboule l’ordre des choses : ce qui est aussi un crime contre l’humanité. Abandonnée deux fois (par ses parents biologiques puis par ses parents adoptifs), grosse, noire (ou perçue comme telle), Charonne va imposer sa vitalité irrépressible et la force agissante de son amour.
D’abord sur Nelly (la grand-mère) qui raconte sa vie in extremis, entre ressassement et déploration. Et aussi sur Gladys (la mère) qui, parce qu’elle cherche à justifier son incapacité à vivre, produit un discours vindicatif et furibond qui tient souvent du délire. Je viens, c’est la proclamation par Charonne de sa volonté de redresser les torts, de parler contre les lois ineptes, de faire passer sur la maison borgne comme un souffle de bienveillance qui en dissiperait la léthargie et les aigreurs.

Mon avis : 

Il y a des livres qui restent temporairement dans nos mémoires de lecteur, et d’autres qui  laissent une empreinte durablement  dans nos esprits. En ce qui me concerne, Je viens appartient définitivement à la seconde catégorie.

C’est un livre dont l’écriture est virtuose, délicate et riche. Le ton peut être parfois tour à tour précieux ou familier. Ce qui m’a énormément plu, c’est qu’on y trouve des remarques sur la psychologie humaine d’une grande finesse, intelligentes et riches. L’écriture y est parfaitement maîtrisée, pour dépeindre des souffrances qui se côtoient, des destins qui s’entrelacent sans que l’empathie ne permette aux différents personnages de se comprendre les uns les autres.

Un des thèmes qui revient souvent et que je trouve très intéressant, c’est le rapport au corps, et ce sous l’angle féminin. Par exemple, ni Charonne (la petite fille adoptive ) ni Nelly ( la grand-mère) ne peuvent voir leur propre beauté, ce qui fait sans doute le charme de la première mais achève de désespérer la seconde. Charonne est une enfant non voulue, adoptée et initialement désirée par ses parents adoptifs, tout comme la poupée dont elle était censée porter le nom « Alice ». Mais ses parents adoptifs se sont sentis trompés par la marchandise, car à l’orphelinat, la petite était malingre à cause d’une allergie au gluten. Elle devait passer beaucoup de temps enfermée. Sitôt qu’elle a été requinquée par une alimentation adaptée et  qu’elle a bénéficié des bienfaits du plein air, elle s’est révélée en tant que « négresse » bien en chair, ce qui lui a valu le rejet instantané de ses parents adoptifs – qui iront même jusqu’à tenter de la ramener au Foyer dont elle vient, alors que la petite était alors âgée de six ans.

Le texte est divisé en trois actes, un par personnage. Ce choix donne une force particulière au récit, une dynamique aussi.  En découvrant les points de vue de personnages différents, on peut mettre le doigt sur les incohérences et les moments de mauvaise foi. Chacun cherche à se dédouaner de ses travers, à oublier ses torts de façon souvent lâche et peu glorieuse ( du moins en ce qui concerne les adultes).

Nelly, la grand-mère, est prise au piège de sa propre vanité, son amour pour elle-même a complètement envahi et dominé sa vie, a orienté ses choix et ses relations avec son entourage.

Gladys, la fille de Nelly, n’a que griefs pour tous ses proches –à l’exception de son compagnon qui trouve la plupart du temps grâce à ses yeux-. Elle  reproche à sa fille exactement ce que sa propre mère lui a reproché à elle : des changements physiques non souhaités (par la mère), un comportement non-conforme à celui attendu ; car après tout, dans ce monde de femmes égoïstes, on désire de toutes façons une petite poupée belle et docile, une petite copie de soi-même en version idéalisée. Bref, tout mais pas une vraie personne. Totalement inconsciente de devenir à son tour ce même bourreau indifférent et intransigeant qu’elle avait vu en sa propre mère, elle se retrouve prise au piège de ses propres délires, de ses peurs devenues pour elle grandes vérités, de ses aigreurs, de sa vision noire et noircie du monde qui l’entoure.

Car Gladys est paranoïaque. Elle est constamment persuadée que chacun des choix de ses proches  est fait pour lui nuire (tandis que sa mère, Nelly, nourrit parfois exactement les mêmes pensées en sens inverse).

Le mythe de la famille heureuse est piétiné et disloqué complètement : de parents incapables d’aimer aux enfants aigris et vindicatifs, de pères infidèles en maîtresses agressives, on assiste à un constat cynique et sans appel, mais aux accents de vérité d’une cruelle acuité. On a parfois le sentiment de découvrir une galerie de monstres accablés par leurs erreurs et leurs désillusions, jusqu’à ployer douloureusement sous leur poids.

Je viens nous montre comment l’absence de communication et les non- dits peuvent devenir dévoration, gâcher des vies entières. Et dans le même temps, le récit illustre de quelle façon la faculté de voir le bon en l’autre au lieu de chercher la petite bête peut être salvatrice et précieuse. Une lecture tellement enrichissante, que je suis persuadée que je renouvellerai l’expérience en lisant ce livre à nouveau !

Je tiens à remercier encore de tout coeur les éditions Gallimard, qui m’ont sélectionnée pour recevoir en partenariat cet ouvrage d’Emmanuelle Bayamack-Tam, un auteur que je ne connaissais pas et qui pourtant écrit merveilleusement bien. Cela a été un honneur pour moi, donc merci encore. Ce serait un plaisir d’être à nouveau en contact pour un nouveau partenariat.

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