An de Disgrâce Douze-cent quarante-six.
Se mourant dans la langueur, le comte déchu Hasbrin von Pein est hanté par d’étranges maux et sombre dans la folie. Renié par le Ciel et gardien d’un secret si terrible que nul autre ne saurait le supporter, il décide de tout révéler dans une chronique mystérieuse avant que le trépas l’en empêche… Les racines douloureuses d’un mal inconcevable poussent en lui alors que sa fin approche.
De sa plume, il retrace les sombres vies de Christof, le parricide, Johannes, le déserteur, et Franz, le malandrin, qui, quatorze années plus tôt, se virent poussés par un souffle divin vers une funeste destinée.
C’est un âge de ténèbres, fait de démons et de sorcellerie, de guerre et de trahison, de mort, de pleurs et de haine. La fatalité d’un prime temps de malheur.
Avant propos
Le Temps de Malheur est le premier tome d’une trilogie romanesque, Fatalis – legenda, sorti en novembre 2012, et dont la suite devrait paraître d’ici la fin de l’année.
Cette petite perle ignorée du monde se fraye un chemin dans l’univers tumultueux de l’auto-édition, et j’ose penser qu’elle fera parler d’elle dans les années à venir, le temps que son nom et celui de son auteur acquièrent la notoriété qu’ils méritent. Son auteur, parlons-en : il (ou elle, car cela reste abstrait) annonce le mystère qui l’entoure en se parant de l’intrigant pseudonyme de Nausea, qui ne nous livre de lui que de maigres informations dans une étonnante préface où il nous livre le secret de cette saga, dont l’origine remonte à des fouilles archéologiques dans un ancien site médiéval allemand.
En bref, nous avons ici affaire à un roman inhabituel qui attise la curiosité de quiconque le croise sur son chemin… Mais qu’en est-il vraiment ?
Introduction
Tout commence sur la seconde partie d’une somptueuse préface : « Malheur aux hommes de bien… », qui se lit comme un cantique infernal et dérangeant, malsain – et ces attributs, qui peuvent paraître nuisibles, lui accordent au contraire une puissance séductrice, on est attiré comme un papillon de nuit par une flamme.
« Qui convoye avecques Diable onques sera rédempté. »
C’est sur cette énigmatique sentence que s’ouvre le remarquable prologue, dans lequel le lecteur se plonge sans difficulté (pour ma part, je n’avais aucun mal à me représenter la scène en film). On y découvre Hasbrin von Pein, un comte saxon qui, à cause d’une malédiction, a vieilli de trois fois son âge. Ce jeune vieillard sait qu’il va mourir et, pour cette raison, décide de se libérer d’un lourd secret qui lui pèse depuis fort longtemps – du quel s’agit-il ? On l’ignore, car tout le roman semble jouer d’énigmes. Pour ce faire, il plonge sa plume dans l’encre et commence la rédaction de chroniques d’un temps qu’il préférerait oublier. Cependant, la tâche n’est pas aussi simple que prévu et le pauvre homme n’est pas au bout de ses peines : un démon cruel, moqueur, sans nom ni visage, est bien déterminé à l’empêcher d’agir. On ne connaît rien de lui, si ce n’est qu’il le possède et que le comte lutte difficilement contre lui, et, s’il remporte la victoire, c’est au prix de l’un de ses doigts.
On réalise alors l’originalité de l’œuvre, car ces premières pages nous plongent dans les mêmes ténèbres que le personnage. On entend sa voix éreintée et le grattement de la plume sur le parchemin, on sent la fumée et la chaleur des bougies. D’entrée de jeu, l’atmosphère se fait oppressante, tout en restant parfaitement réaliste.
S’ensuit un chapitre introductif, De la vérité de l’histoire, dans lequel Hasbrin fait part à ses lecteurs des buts que nourrit le livre. La mise en abyme entre Fatalis en tant que roman de Nausea, et Fatalis en tant que chroniques d’Hasbrin von Pein est tout particulièrement maîtrisée, mais j’y reviendrai plus tard.
Scénario
L’intrigue du Temps de Malheur est un succès. Elle varie tout au cours du récit et prend souvent des airs de polar tournés autour d’une enquête complexe qui, petit à petit, va révéler des éléments surnaturels et indomptables. Voici donc un bref synopsis :
Tout commence paisiblement, alors que Christof et Franz, tous deux membres d’une société criminelle de Lübeck (nord de l’Allemagne) sont chargés de transporter dans la plus grande discrétion un colis jusqu’à Lipz (Leipzig, vers le sud), avec pour ordre de ne pas ouvrir la besace qui le contient et de ne poser aucune question à son sujet. Peut-être l’avez-vous deviné, tout ne se passe pas comme prévu, et ils finissent par être confrontés au contenu du colis. Tout ce que cela entraîne ne passe pas inaperçu et cela finit par s’ébruiter… Malgré tout, ils parviennent à atteindre leur objectif et amènent l’étrange objet à un marchand supposé faire la transition entre les convoyeurs et le destinataire. Mais au moment où ils s’apprêtent à repartir vers le nord, ils apprennent que le colis a été subtilisé, et que pour de subtiles raisons, les deux convoyeurs sont contraints d’aider un agent du destinataire dudit colis (oui, ça se complique!) à le retrouver avant qu’il n’arrive en de mauvaises mains… C’est le début d’une longue descente vers l’enfer, où ils affronteront des choses qui dépassent l’entendement.
S’ensuivent de multiples péripéties fascinantes qui, comme déjà dit, revêtent parfois l’apparence d’une enquête policière (à la mode du temps jadis), ponctuées de retournements de situation qui peuvent être surprenants (combien de fois m’attendais-je à ce que telle ou telle chose arrive, pour qu’une autre, totalement différente, survienne à la place?).
Tout cela s’achève sur un final grandiose, presque wagnérien, et sur un véritable coup de théâtre qui laisse le champ libre à la suite, qui s’annonce plus sombre encore.
Historicité
L’une des forces de Fatalis est la crédibilité de son univers. Étant pour ma part friand de littérature historique et médiévale-fantastique, j’ai vu passer bon nombre de romans divers et variés abordant le Moyen Âge en passant à travers tous les clichés possibles, ce qui n’est pas le cas de ce roman.
En effet, ce Temps de Malheur est sans nul doute le fruit d’un long et sérieux travail de recherches. Les descriptions architecturales, vestimentaires (tant civiles que militaires), sont riches en détails, et l’on trouve très souvent des annotations pour expliquer telle ou telle chose. On apprend énormément de choses diverses et variées, de l’interdiction de travail nocturne pour certains artisans à une bulle papale sur la sorcellerie, en passant par des informations politiques ou guerrières. Tout en lisant, on a l’impression de suivre un cours d’histoire, sans qu’il soit excessif, ennuyeux ou autre.
Ensuite vient la plume. Nausea nous sert un style inédit, dans lequel il s’amuse et nous amuse en mélangeant l’ancien et le nouveau langage. Ainsi, le moyen français côtoie le français moderne pour donner une « entre-deux-langues » surprenantes, qui déstabilise au début, mais est très vite appropriée par le lecteur. Les négations simples et les mots oubliés connaissent une seconde vie pour notre plus grand plaisir.
Avec ce registre étonnant vient la structure même du texte : adepte des romans de chevalerie, Nausea en a reconstruit un à travers Fatalis. Les titres sont introduits à la latine et l’évolution des personnages suit une logique que je qualifierais de médiévale (le passé de chacun n’est pas, comme d’habitude, révélé au cours de l’histoire, mais dans un chapitre complet pour chacun), ce qui permet de « fausses originalités », car ce qui nous paraît original n’a juste pas été utilisé depuis sept ou huit siècles ! Malin, l’auteur… Les amateurs de fioritures auront aussi de quoi manger parmi la numérotation gothiques et les lettrines qui ouvrent chaque premier paragraphe.
Accessoirement, on peut trouver un glossaire plutôt épais à la fin.
Personnages
Chacun des individus qui compose le Temps de Malheur semble doué d’une âme. Tous bénéficient d’un caractère, d’un profil psychologique détaillés, ce qui les rend tous attachants, à leur manière.
On compte en tout quatre personnages principaux : Hasbrin, le narrateur, et les trois compagnons dont il raconte l’histoire ; mais tous les protagonistes ou antagonistes qui ont une importance dans l’intrigue s’affublent des mêmes avantages.
De prime abord, on est tenté d’accuser Fatalis d’être trop manichéen, mais c’est à mes yeux une bien grande erreur. Premièrement, l’auteur ne semble pas se décider à prendre parti pour les uns ou pour les autres (et cela serait impossible). Si l’on trouve effectivement des « gentils » et des « méchants », il faut aller plus loin que cela et décortiquer, comme dit plus haut, leurs personnalités propres. Les gentils ont une part de méchanceté, et vice versa. J’ai par exemple relevé un détail que je trouvais intéressant de noter : parmi les « méchants », un seul paraît réellement motivé par ce que l’on peut appeler le « Mal », et encore. Celui-ci semble agir plus par folie que par cruauté. Quant à ses acolytes, on note qu’ils sont persuadés de faire le bien, et qu’ils sont parfois conscients du mal qu’ils peuvent infliger et ont eux aussi leur part d’humanité.
Le cas de Hasbrin, pour commencer, est incroyable, car, très vite, l’on ressent une forte empathie à son égard. On a l’impression de partager sa douleur et on lui souhaite sincèrement que quelque chose de positif lui arrive. Le duo qu’il forme avec Ludwig, son valet, accentue encore davantage cette compassion de la part du lecteur.
Vient ensuite Christof, le premier des personnages du récit narré à être présenté. Dernier né d’une maison noble de Saxe, son enfance est un enfer. Petit, laid, efféminé, soit tout l’inverse de son père et de son frère, il préfère la poésie à l’escrime, ce qui en fait bien vite la honte de sa lignée. Pour cette raison, il est régulièrement battu par son père, qui lui préfère son frère, tandis que sa mère lui est parfaitement indifférente. Un jour, il assassine presque par erreur son géniteur, et se retrouve ainsi contraint de s’enfuir.
Des trois personnages, Christof est à mes yeux le plus intéressant. Toujours en train de réfléchir, ses pensées se bousculent les unes les autres, et il remet tout en question, en essayant d’agir le mieux possible. Car notons-le bien, son parricide ne l’a pas libéré, bien au contraire : il se sent coupable du pire crime qui soit et cherche à trouver le salut de son âme. De cette façon, son esprit est en constante confrontation avec lui-même.
Arrive ensuite Franz, un Bavarois haut « d’une toise et demi » (2m, ndla). Ce colosse aux bras taillés dans le roc, ancien pillard, est intimidant et inquiétant. Cependant, dès lors que naît une certaine complicité avec Christof, il se révèle être avant tout un grand ami au cœur d’or.
Franz, roturier par excellence élevé par les moines, se veut quelqu’un de très pieu, bien que nombre ses actions soient plutôt douteuses (on sourira à la lecture de son langage fleuri de jurons amusants). Tout cela fait de lui un personnage particulièrement attachant, très drôle tout en étant capable de se montrer sous des angles bien plus sérieux et sombres (la fin du récit le montre sous un jour plus sombre, dans une posture qui attriste le lecteur, habitué à le voir tout fringant).
Enfin vient Johannes, celui dont on sait le moins. Cet ancien soldat ayant commis le crime de désertion a été contraint de se reconvertir en l’équivalent d’un agent secret.
Au fil du récit, il se révèle être un bon ami, qui n’hésite pas à se remettre lui-même en question pour l’intérêt de ceux qu’il aime, qui fait preuve d’une grande ingéniosité (bon compromis, entre un Christof qui s’angoisse à trop penser, et un Franz qui agit plus qu’il ne réfléchit). bien que mystérieux (je suppose que l’on en saura plus dans la suite). C’est un homme discret, obscur, qui fait ce qu’on lui demande et aime le travail bien fait. Il ne semble se poser que peu de questions morales ou éthiques, et sa présence est un atout considérable à l’ambiance du livre. J’attends le second tome pour en savoir plus à son sujet.
Je pourrais aussi aborder les « méchants », mais j’ai trop peur de spoiler le récit, alors je me contenterai d’indiquer que leurs psychologies semblent tout aussi développées, bien que l’on n’en sache que peu pour l’instant.
Ainsi donc, je pense que l’on peut dire que les personnages sont l’un des principaux points forts du livre.
Conclusion
Beaucoup d’éloges dans cette chronique littéraire mais elles me semblent méritées. De mon côté, il s’agit à coup sûr de la découverte de l’année, sur laquelle je suis tombé par hasard. Le Temps de Malheur constitue donc l’une des surprises de l’auto-édition.
Le défaut du livre ? Il est bien trop court (vraiment) ! Ses 330 pages (dont à peine 310 pour le récit en lui-même, puisque la préface et le glossaire en prennent une bonne vingtaine) se dévorent trop vite.
Ne reste qu’à réclamer le Temps de Langueur à suivre, vertudieu !