Roman résolument cinématographique, Le passage de la nuit joue la carte de l’hypotypose pour installer son lecteur dans le rôle du narrateur-spectateur, hétérodiégétique mais pourtant pas omniscient. Les chapitres s’enchaînent et sont des plateaux de tournage dans lesquels on place les caméras. Parfois il n’y a qu’un angle, qu’une seule prise de vue. Le tout s’accompagne d’une bande-son omniprésente.
C’est une expérience fascinante, en tant que lecteur, que de s’observer dans la découverte d’une œuvre qui ne propose que de l’immédiat et ne livre aucune interprétation, justification ou explication autre que celles fournies par les personnages. Il y a, dans cette œuvre, une invitation à la dégustation personnalisée. On peut, au choix, se contenter de contempler, ou chercher à comprendre ce qui anime les uns et les autres, et forcément mettre de soi.
La nuit, c’est avant tout une ambiance, une atmosphère particulière dans laquelle chacun apporte ce qu’il veut ou ce qu’il peut. C’est ce que m’évoque la lecture de ce drôle de livre, qui est aussi un roman hommage: hommage à la musique qui rythme nos vies, mais également au cinéma de Godard et à son film, Alphaville, qui donne ici son nom à un love hôtel. Dans le film de Godard, l’émotion est interdite, dans le livre de Murakami, c’est le vocabulaire de l’émotion qui est banni. Les sentiments éprouvés par les personnages ne nous parviennent que par le biais de leur discours, de leur posture, de leurs actions, de ce fait ils sont interprétables à volonté. On découvre alors que l’émotion brute peut autant sinon plus que l’émotion décodée. C’est dans cette perspective que je parle de dégustation personnalisée. Le spectateur privé de grille de lecture s’oriente dans l’obscurité grâce à ses propres repères.
Un roman lumineux.