L’Apocalypse des travailleurs de Valter Hugo Mae

Il s’agit d’un roman très dur où il est constamment question de survie et d’utilisation des uns et des autres, les femmes étant plus particulièrement victimes du pouvoir des hommes. En effet, les deux protagonistes féminins, Maria da Graça et Quitéria sont sans cesse utilisées comme de simples objets sexuels par les hommes de leur entourage. On peut cependant dénoter une très grande différence entre ces deux femmes : la première se laisse complètement contrôlée par son patron, cédant à ses avances et se persuadant peu à peu qu’elle aime ce « vieux maudit » qui se plaît à l’humilier à cause de sa supposée ignorance ; alors que la seconde se satisfait entièrement des relations qu’elle entretient avec ses différents amants, se situant ainsi sur un même pied d’égalité qu’eux.

Pour échapper à la misère, elles vont toutes les deux faire de leur mieux, à leur manière. Maria da Graça nie la violence qu’elle subit sur son lieu de travail. Pour cela, elle se venge secrètement sur son mari, Augusto, en versant innocemment chaque soir quelques gouttes d’eau de Javel dans sa soupe, simplement par jeu, et n’attend que de le voir partir en mer afin de profiter d’une tranquillité toute relative avec « son » monsieur Ferreira. Toutes les nuits, elle est aussi hantée par la vision de saint Pierre, qui refuse de la laisser entrer au paradis. Quitéria, quant à elle, se jette dans les bras d’Andriy, jeune émigré ukrainien qui a été contraint d’abandonner sa famille. L’amour semble être la seule issue pour les deux femmes, peu importe qu’il soit réel ou fantasmé.

Ce qui frappe en premier lieu lorsque l’on ouvre ce livre, c’est la présentation typographique hors norme. Il n’y a absolument aucune majuscule, aucun point d’exclamation ou d’interrogation ; seulement des points simples, des virgules, ainsi que quelques rares emplois de l’italique (dont un en première page). Cette parfaite économie de la parole, qui s’en tient au strict minimum — c’est-à-dire le sens, le contenu — n’est pas sans résonner avec le texte lui-même. Dans le roman, personne ne parle : Andriy ne connaît pas bien le portugais, monsieur Ferreira parle mais uniquement pour lui, étalant sa science de manière pédante et égoïste, niant ainsi la fonction première de communication du langage, Quitéria préfère agir et Maria da Graça acquiesce tacitement.

Finalement, seules les deux femmes se parlent et rompent ainsi la pesanteur du non-dit, de la souffrance. Et c’est à ce moment-là qu’elles se permettent d’être libres, par le biais d’un langage cru, sans tabous et souvent drôle, alors qu’elles n’ont aucune raison de rire de leur malheur.
Cet ouvrage, bien qu’il ne soit pas facile à lire, est une lecture agréable. Il est malheureusement intemporel et universel dans sa dureté et c’est ce qui fait sa principale force, appelant naturellement la compassion du lecteur. La langue est tantôt très brute et percutante, tantôt plus poétique et plus raffinée, offrant par là même au lecteur de belles pages à la philosophie simple mais juste. le titre n’est cependant pas des plus parlants car il n’est quasiment jamais question d’hommes. Si les femmes de ce roman sont des laissées-pour-compte dans leur quotidien, elles occupent toute la place dans l’oeuvre, reléguant les hommes au plan de simple prétexte pour être réunies. Mais cette masculinisation du titre ne serait-elle pas après tout un moyen de leur accorder l’égalité qu’on leur refusait jusqu’alors ?

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