L’art de naviguer
Antonio de Guevara
Edition Vagabonde
Préface Pierre Senges
Traduit, annoté et post-facé par Catherine Vasseur.
C’est grâce à un partenariat entre Livraddict et les éditions Vagabonde que j’ai eu le plaisir de découvrir ce petit livre, publié pour la première fois en 1539. J’avais envie de lire autre chose qu’un roman et j’y voyais une opportunité d’étoffer ma maigre culture classique espagnole ( qui se réduisait à Cervantès et Calderon…).
Me voila plongée dans cet art de naviguer, « Arte de marear », lecture qui me réjouit par son humour, en même temps me fait réfléchir. Voilà un cocktail qui me convient parfaitement!
Le titre est curieux : en effet, marear, au siècle de Guevara, en plus du sens classique : naviguer, commence à signifier aussi : donner mal au coeur!En fait, le titre complet est : « Livre des inventeurs de l’art de naviguer et des nombreux travaux accomplis sur les galères », long titre explicite, comme beaucoup de traités écrits à l’époque classique. Il indique qu’il sera question de l’historique (les inventeurs) de la navigation : là aussi on suit le schéma en vigueur à l’époque Renaissance, c’est-à-dire puiser chez les auteurs grecs, Guevara le dit lui-même : « …On y trouvera d’excellentes antiquités… »
Antonio de Guevara est né en 1480, mort en 1545. Il est religieux, chroniqueur de Charles Quint, conseiller, moraliste, inquisiteur. Homme de Dieu et homme de cour, son ouvrage : L’horloge des princes (Reloj de principes1529), a très vite connu un véritable succès européen à l’époque : traduit en français, anglais, on dirait un best-seller aujourd’hui
Je m’attendais à une lecture aride, un style ampoulé, vieilli ou bien des tournures compliquées. Rien de tout cela. L’écriture de Guevara est claire, sans fioriture aucune, très moderne, et quelquefois même familière, par exemple il termine son introduction par ces mots : « Cela suffit pour cette introduction. Et puisque le temps est compté et la matière abondante, il me reste à vous prier d’être très attentif au sermon qui va suivre, et d’ouvrir grand les yeux sur ce qui vous agrée. Et si l’un d’entre vous s’endort, que son compagnon le réveille d’un coup de coude… »
Catherine Vasseur qui a traduit ce livre dit elle-même que « du point de vue lexical et grammatical, l’espagnol de Guevara est presque moderne »et beaucoup plus accessible que, par exemple Montaigne (qui a écrit ses Essais cinquante ans plus tard)
Ce livre commence par une lettre adressée à Francisco de los Cobos (courtisan de Charles Quint), pour qui est fait ce petit traité, destiné à l’accompagner lorsqu’il irait en mer. Guevara indique pourtant des intentions plus profondes : ce qu’il désire est surtout son salut, comme tout bon religieux. Il commence d’ailleurs par faire une analogie entre les dangers et les incertitudes de la vie à la cour et de la vie en mer. Y a-t-il là un indice, devons nous comprendre autre chose qu’un simple ouvrage pratique, lire cet ouvrage à un autre niveau ?
Plus encore, ses premiers mots : « Mimus, Polistorus, Azuarcus et Périclès » qu’il présente comme philosophes, et bien à part le dernier, Périclès, qui a réellement existé, les trois autres sont pure invention : Mimus représente le mime, Polistorus serait le poly-historien note Catherine Vasseur. Juste avant dans l’introduction il cite Psitaque le Grec, or psittacos veut dire perroquet en grec…
C’est dire si on a intérêt à lire les notes de Catherine Vasseur, on apprend alors que tout l’exposé historique de Guevara est truffé d’inexactitude. Il ne s’embête pas de vérité historique : il tord les textes classiques, invente des anecdotes, déforme les noms, attribue à l’un l’invention de l’autre…
J’ai trouvé la forme très plaisante. Son livre tangue, roule, il est rythmé tout du long par cette phrase : « la vie de galère, Dieu la donne à qui la veut » comme une incantation. Le chapitre V s’intitule : Des nombreux et grands privilèges des galères. Privilèges est pris dans un sens ironique : il énumère en fait là tous les dangers, malheurs, ennuis qui s’abattent sur la tête du pauvre passager ! Il commence à chaque fois cette litanie par ces mots : « La galère offre » … par exemple : « ..à celui qui s’y embarque le privilège de manger du pain ordinaire, de préférence tapissé de toiles d’araignée, noir… » c’est à chaque fois un petit sketch, souvent drôle, comme quand il évoque la promiscuité des lits : « et si, après avoir mangé des châtaignes ou dîné de radis, ton voisin se lâche un peu…tu m’as compris, mon frère : ne vas pas dire que tu l’as entendu – dis-toi seulement que tu l’as rêvé. »
J’aime beaucoup le chapitre IX qui est une « Subtile description de la mer », l’auteur nous livre ses pensées sur la mer en courtes descriptions souvent terribles.
« La mer – il suffit de l’appeler par son nom pour la connaître, car la mer n’a rien d’autre à déclarer que son amertume… »
Puis Guevara reprend les conseils au voyageur, en faisant une liste de ce qu’il aura besoin, les phrases commencent toutes par : « Pour son salut, il est conseillé… », comme des strophes. C’est toujours aussi drôle et sarcastique. La vie de galère est une course à la survie, on ne parle pas de l’élévation de l’âme, non, on cherche seulement à survivre et garder un semblant d’humanité. Surprenant pour un religieux !
J’aurais encore beaucoup à dire sur ce petit livre, notamment dans la post-face de Catherine Vasseur où elle nous parle (entre autre) de la fonction d’écrire chez Guevara. Elle dit de la fonction d’écrivain : : « De son œuvre, l’auteur devient à la fois le héros et le héraut. Heureux ou malheureux, selon sa bonne fortune. »
Mais je préfère au lieu de vous en parler maladroitement vous inviter à le lire sans tarder, et j’en suis sûre partager mon enthousiasme.
Merci encore à Livraddict et aux éditions Vagabonde sans qui je n’aurais jamais pu faire cette découverte.
Il est si vieux que ça ce livre ! Si j’avais su…
Je le tenterais dès que j’aurais moins de livre à lire.
Florel.