Ziyan de Hakan Günday

Ziyan de Hakan GundayJe n’avais jamais lu autre chose sur la Turquie que ce que les journaux voulaient bien nous en dire. Je n’avais jamais lu de littérature turque. C’est chose faite avec ce livre. Voici ce qu’on peut lire comme quatrième de couverture :

Un mauvais rêve peut-il transformer l’existence de quelqu’un en cauchemar ? Peut-il lui faire abandonner son éducation à mi-parcours ? Le rendre fou ? » ll a vingt ans, il est soldat. Dans l’est de la Turquie, où l’armée contrôle les populations kurdes, lutte contre les rebelles du PKK et la contrebande généralisée, la vie au quotidien est dure. Au cour d’un hiver interminable, les tours de gardes sont de véritables supplices – sans compter les relations difficiles avec la population locale et la hiérarchie militaire.
Une nuit, un homme lui rend visite. Il dit s’appeler Ziya Hursit, l’un des conjurés qui fut pendu pour avoir participé à la tentative d’assassinat contre Mustafa Kemal en 1926. Est-ce la fatigue ou l’hypothermie qui provoque chez le soldat une telle hallucination ? Serait-ce que son esprit tourmenté s’enfonce progressivement dans la folie ? Ziya lui raconte sa découverte de l’Allemagne au début des années 1910, l’avant-garde artistique de Berlin, Dantzig, la guerre au sein de la marine allemande, puis la Turquie occupée et démantelée, enfin sa rencontre avec Mustafa Kemal et son rôle dans le mouvement de libération et la reconstruction du pays, jusqu’au jour où, face à la montée d’une nouvelle classe politique trop éloignée de ses idéaux, le terrorisme lui apparaît comme la seule échappatoire.

Après d’Un Extrême l’autre, Ziyan a l’audace des merveilleux romans de Hakan Günday, l’auteur le plus prometteur de la jeune génération turque, et dont l’ouvre est traduite dans plus de quinze langues. Avec Ziyan, Hakan Günday nous plonge dans son histoire intime liée à celle de son pays, dans ses relations avec l’Europe, dans sa modernité et dans les contradictions d’une société hantée par son passé

***

Une couverture plutôt austère, froide à l’image de l’hiver décrit. Une couverture qui m’a mise mal à l’aise dès lors que j’ai commencé à lire, et qui, au fil des pages, à trouver toute sa puissance. Ce livre est glacial. Non qu’il ne vous fasse rien ressentir, bien au contraire…

La traduction est fluide, agréable et nous laisse entrevoir la maîtrise des mots de l’auteur. Pour moi, c’était un premier contact avec la littérature turque et avec l’auteur Hakan Gunday. J’ai trouvé une écriture tranchante, piquante, juste, saisissante, glaciale. Hakan Gunday a un sens de la description et vous fait entrer dans un tourbillon d’images désagréables dont vous n’arrivez pas forcément à vous détacher.

Pour le sujet, c’était encore une première pour moi. Les premières pages ont été compliquées à suivre pour ma part car je n’avais jamais lu de livres sur la condition des soldats même. Et ce que l’on y lit, nous permet de rendre concrètes les idées que l’on peut avoir et qui tourne autour du « Ca ne doit pas être facile ». Là, vous sentez vos doigts geler, vous sentez le froid sur votre visage, sur votre coeur. Et lorsque vous sentez cet hiver dans le coeur du héros, la solitude au plus profond de son âme, survient cet homme Ziya.
Avec ses mots, avec ses deux personnages, Hakan Gunday vous fait plonger dans l’histoire d’hommes et l’Histoire. Vous allez voyager sur un autre territoire, apprendrez des choses que l’on n’imagine pas parce qu’on ne l’apprend pas l’Histoire de chaque pays. Des bribes ici et là et avec ce livre, vous pouvez encore affirmer que la littérature est décidément une porte ouverte sur le monde, un professeur hors pair…

Avec ses mots durs et tranchants, explosifs même, vous sentirez la critique du service militaire obligatoire. Parfois implicite, parfois explicite. Hakan Gunday manie le cynisme de façon magistrale. « Nous qui sommes autant soldats que des enfants de cinq ans habillés en commando lisant des poèmes héroïques, nous mourrons pour notre patrie… parce que nous ne savons pas nous battre et que nous n’avons aucun espoir dans la vie! » n’est qu’un bref aperçu. Il y parle de la condition des soldats, de leur recrutement, de leur « confusion psychique » et de cette déshumanisation : « L’armée s’employait à mettre en pièces les rares morceaux de mon moi tenant encore debout »
Si ce livre peut enchanter les anti-militaristes, il peut aussi plaire au camp adverse parce qu’il ne tranche pas dans le vif pour rien. Il part d’un vécu. Il part d’un constat, il amène à la réflexion…

Sa critique de la sacralisation et des gouvernements post-révolutionnaires reste également une pépite dans laquelle on pourrait trouver matière. J’y vois l’immobilité de l’administration, le poids de la bureaucratie. Hakan Gunday y met la force qu’il faut. Le choix des figures de style est étudié, et fin, l’aidant à instiller sa pensée.

Et au milieu de ce cynisme, il me semble voir un message qu’il s’adresse, des questions qui font peut-être écho comme s’il s’adressait à son arrière grand-oncle. Un passage fort évocateur est celui-ci :
« Les traces que tu laisses derrière toi te retrouveront un jour et te piétineront. Je n’ai jamais eu de journal, ni de notes. Qui sait ce qu’on a écrit sur moi après ma mort? Plus ils connaissent la vie, plus ils mentent. mais c’est mieux ainsi. Si, comme toi, j’avais eu un cahier, ils auraient connu le son de tous mes pas. Alors que maintenant, ils ne savent rien. Je suis sûr qu’ils n’ont rien compris, ni à moi ni à ma vie. Quelles que soient les choses qu’ils ont écrites sur moi, dans le fond, ils n’y croient pas eux-mêmes. ils n’ont aucune preuve dans les mains. Aucune trace. Pas une feuille de papier. Tu as tort en surestimant les gens, la communication que tu entretiens avec eux. Tu n’es pas obligé d’expliquer quoi que ce soit à quiconque. – Mais j’écris pour moi. Pour me comprendre. Pour jeter un regard en arrière. »

Je ne souhaite pas en dire plus au risque de révéler une composante de l’histoire mais je souhaite remercier les Editions Galaade pour ce partenariat qui m’ont permis de découvrir cette petite perle qui, je pense, restera un agréable souvenir. Etrange et Intéressant. Ce livre, c’est une rencontre, un lien entre le passé, le présent et le futur. Le compte à rebours est lancé…

Citation (P.354): Plus qu’une droite, le temps était une sphère. Une sphère parfaite. Si l’on enterrait suffisamment profond le passé, il surgirait par l’avenir.

En espérant par la même occasion vous avoir donné envie de le découvrir,
Passez une agréable journée.

ATea.

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