Mon cher frère de Hâkan Bravinger

C’est grâce à un partenariat entre Livraddict et les éditions JC Lattès (je les remercie tous les deux) que j’ai eu le plaisir de lire ce livre, mon premier roman suédois !

« Mon cher frère », par ces mots commencent les lettres qu’Andréas, criminologue,  écrit à son frère Paul, le célèbre psychiatre. Nous sommes en Suède, au début du vingtième siècle. Les deux frères ont pour parents un père chaleureux qui a construit sa fortune seul, malgré une enfance martyre, et une mère froide et distante. Ils paraissent si différents :
Andréas a un parcours amoureux assez tortueux : après une première liaison très jeune, il épouse puis abandonne Amélie, pour l’amie de celle-ci. Il est deux fois père mais ce sont deux échecs… Professionnellement il ne brille pas : il n’arrive pas à l’écrire son grand projet : une étude sur la psychologie des criminels, et les années passent. Il finit par enseigner à l’université, sa vie matérielle est précaire. Il a le sentiment de sa propre incompétence, et ressent amèrement le mépris de son frère, alternant rejet et tentative de réconciliation. Alcoolique et torturé, angoissé, il fréquente des prostituées.
Paul a hérité du dynamisme de son père et réussit dans sa vie professionnelle : il est un célèbre psychanalyste. En même temps qu’il  perd sa maîtresse Lou Salomé, attirée irrésistiblement vers Freud, il s’éloigne de celui-ci, persuadé de sa propre valeur. Il écrit de nombreux livres. Et Paul est aussi sculpteur ; bref, il crée, il produit.Il a peu de considération pour son frère qu’il se sent obligé d’aider matériellement. Mais comment expliquer que Paul épouse Gunhild, la mère de la femme d’Andréas, et quelle est la teneur de cette union avec une femme malade et plus âgée, qui l’admire et le soutient, lui qui a tant besoin de la  reconnaissance et de l’amour de sa mère ?
Paul est la fierté de la famille, mais il a besoin de se persuader de la médiocrité de son frère pour briller. Est-il aussi équilibré et sûr de lui ? Andréas en doute. Ils sont tous les deux terriblement égocentriques : l’auteur décrit comment les autres personnages autour d’eux ne sortent pas indemnes de cette  relation  toxique entre les deux frères.

Mais c’est aussi une peinture cruelle, sans concession aucune, d’une époque et d’une  classe sociale, témoin  la triste destinée de Soren le fils d’Andréas et Amélie : enfant du divorce, perturbé, ballotté tout petit de familles d’accueil en internats, il est en manque d’amour et d’image paternelle…Pour éviter les problèmes judiciaires on préfère l’interner ! Puis  l’expédier en Australie…
Les femmes ne sont pas mieux loties : leurs aspirations de jeunesse  s’envolent quand elles se marient, elles se rangent derrière leur époux et deviennent au mieux leur soutien. Ou bien  elles suivent leur instinct amoureux au risque de tout perdre, comme Madeleine perd sa propriété et ses enfants ; ou comme Amélie, qui va vite renoncer à son fils, sous l’influence de son second mari. Même la sulfureuse Lou Salomé ne fait que suivre les hommes de Génie : Rilke, Nietzsche et enfin Freud.

Le cadre historique permet enfin des rencontres passionnantes : Freud et Lou Salomé ; Ellen Key, la célèbre féministe et pédagogue suédoise, apparaît en filigrane, ainsi que Jung, Nietzsche et Kierkegaard (depuis le temps que je dois le lire !)….Sans oublier la vogue du spiritisme avec Madame d’Espérance.

Quelques mots sur la construction du livre : Il faut dire que l’auteur relate la vie de personnages historiques. Il a eu accès à des documents, des journaux intimes, des lettres. Où est la part de la création littéraire et celle de la réalité historique, c’est ce qui me questionnait au départ. Puis je me demandai  comment l’auteur s’était approprié ces documents pour en faire un roman. Car dans le roman la vie de l’un ou l’autre est relatée très souvent dans des lettres, ou bien dans les conversations, souvenirs.  Et c’est vraiment passionnant cette façon de nous raconter l’histoire, souvent indirectement, donc biaisée par un tiers, par ses opinions, ses prises de position. Les vrais écrits se mêlent aux fictifs, mais lesquels sont en fait les plus véridiques ? Et comment saisir, comprendre ces personnes au plus profond de leur être: doit-on se fier seulement à l’image qu’ils donnent d’eux ou au jugement des autres ?  Ce livre ressemble à un puzzle qu’on construit et déconstruit tout au long du récit au fur et à mesure des indices ; en vain car peut-on saisir la complexité de l’âme humaine ?
Le tout est servi par un style fluide et agréable, quelquefois poétique.

En conclusion une lecture prenante, émouvante même, et aussi instructive, ce qui ne gâche rien !

Mon cher frère
(titre original : Bara bud)
Hakan Bravinger
Edition JC Lattès, fevrier 2010
471 pages

Marieke

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