Des azalées pour la passion, des roses rouges pour l’amour, du chèvrefeuille pour l’attachement…
Ballottée depuis toujours de familles d’accueil en foyers, Victoria Jones est une écorchée vive que la vie n’a pas épargnée. Incapable d’exprimer ses sentiments à travers les mots, l’orpheline a appris à maîtriser le langage secret des fleurs, qui traduit parfaitement ses émotions extrêmes. A dix-huit ans, elle se retrouve à la rue et se réfugie dans un parc de San Francisco, où elle se crée un véritable jardin secret à partir de boutures volées au gré de ses errances. Sa rencontre avec Renata, une fleuriste, lui fait prendre conscience de son formidable pouvoir : celui d’aider les autres à communiquer leurs sentiments les plus profonds à travers des bouquets savamment composés. Pour la première fois, Victoria se sent à sa place. Il ne lui reste plus qu’à s’ouvrir au monde. Et à régler quelques comptes avec son passé…
Mon avis :
Voilà une héroïne étrange : enfant trouvée, maltraitée par nombre de familles d’accueil sordides, elle a un caractère visiblement revêche et de gros problèmes relationnels. Mais elle est aussi suffisamment intelligente pour avoir appris à lire seule et approfondi, en autodidacte, le langage victorien des fleurs, dont le romantisme semble pourtant à l’opposé de sa nature. A priori, ce n’est pas le genre de compétence qui peut avoir la moindre utilité en ce début de XXIe siècle. Cependant, c’est bien ce don pour remplacer les mots par les fleurs qui lui permet de garder sa capacité à communiquer et qui, finalement, va lui ouvrir la voie vers une vie normale.
Quel morceau de rêve américain ! Une jeune fille, lâchée alors qu’elle vient à peine d’atteindre sa majorité, après une scolarité aléatoire, sans diplôme ni formation, sans que personne se soucie de savoir si elle a un logement et de quoi subsister, traîne dans la rue, trouve par hasard un petit boulot et se retrouve, presque du jour au lendemain, en train de monter son entreprise depuis son placard-appartement. Trop beau pour être vrai… Vues de près, les choses sont un peu plus compliquées.
Malgré tous ses problèmes de communication, Victoria peut enfin s’épanouir parce qu’elle rencontre des personnes qui l’acceptent telle qu’elle est, sans vouloir s’acharner à la faire entrer dans un moule qu’elle refuse / est incapable d’accepter. J’ai beaucoup aimé ces personnages pas si secondaires, Renata et sa famille hors normes, Elizabeth et sa fragilité intérieure qui donne pourtant à Victoria un véritable ancrage humain. Inconsciemment, c’est quand même une forme de moule dans laquelle la jeune fille s’enferme lorsqu’elle refuse les occasions de se comporter « normalement ». Et c’est aussi, peut-être, parce que son entourage respecte autant sa différence ou ignore son incapacité à la dépasser, qu’elle se retrouve au bord de la catastrophe.
Pourtant, de tous les malheurs qui jalonnent son existence, finissent par sortir des chances à saisir et une perspective de vivre heureuse en famille : avec sa capacité à aider les autres par les fleurs, Victoria se sent enfin prête à s’autoriser ce bonheur potentiel, en acceptant les hauts et les bas inévitables qui l’attendent.
Le fil conducteur de ce roman est donc le mystérieux langage des fleurs, dont Victoria fait usage avec une efficacité redoutable pour ses clients, comme pour elle-même d’ailleurs. Les choses sont-elles si simples ? Toute superstition mise à part, c’était intéressant de découvrir la façon dont ce véritable catalogue de sentiments et d’émotions s’est construit. L’idée d’en faire un instrument pour débloquer le dialogue entre les gens qui s’aiment sans réussir à le dire semble couler de source, une fois exposée par l’auteur. À notre époque, on pourrait croire que les mots sont plus nombreux et plus précis pour s’exprimer. Pourtant, il ne faut pas oublier que les mots n’ont pas toujours le même sens pour celui qui les prononce que pour celui qui les reçoit. Victoria met à la disposition de ses clients un moyen de se retrouver sur la même longueur d’onde, avec un vocabulaire commun et intemporel, et se découvre la capacité à faire partie de cette grande famille qu’est l’humanité.
J’avais un peu peur du côté « roman à l’eau de rose » que m’évoquait le titre, mais ma curiosité pour ce fameux langage secret des fleurs a eu raison de mes hésitations. Certes, l’histoire cumule des personnages extraordinaires au sens propre du terme, des péripéties presque exagérées à mon goût, mais j’ai aimé cette héroïne loin de la perfection, qui trouve une solution originale, gentiment anachronique, pour démêler l’écheveau de sa vie tout en mettant le doigt sur l’une des grandes difficultés de notre société moderne : malgré tous nos progrès techniques, communiquer reste pour l’être humain un art difficile.
Merci aux Presses de la Cité et à Livr@ddict pour cette découverte originale et, pour l’auteur, je tresse une couronne de laurier !
Vanessa Diffenbaugh
Le langage secret des fleurs
Presses de la cité, 405 p, 2011
Traduit par Isabelle Chapman