Allez zou, je lance ce brouillon insatisfaisant (et insatisfait, féminin quoi) ne serait-ce que pour avoir d’autres avis (même si j’ai pas eu le droit de publier les « débats » miam précédant)… en espérant ne pas décourager trop de bonnes volontés à la lecture.
Quatrième de couverture
2084, Orwell est loin désormais. Le totalitarisme a pris les traits bonhommes de la social-démocratie. Souriez, vous êtes gérés !
Le citoyen ne s’opprime plus : il se fabrique. À la pâte à norme, au confort, au consensus. Copie qu’on forme, tout simplement. Au cœur de cette glu, un mouvement, une force de frappe, des fous : la Volte. Le Dehors est leur espace, subvertir leur seule arme. Emmenés par Capt, philosophe et stratège, le peintre Kamio et le fulgurant Slift que rien ne bloque ni ne borne, ils iront au bout de leur volution. En perdant beaucoup. En gagnant tout.
Premier roman, La Zone du Dehors est un livre de combat contre nos sociétés de contrôle. Celles que nos gouvernements, nos multinationales, nos technologies et nos médias nous tissent aux fibres, tranquillement. Avec notre plus complice consentement. Peut-être est-il temps d’apprendre à boxer chaos debout contre le swing de la norme ?
Ma lecture
C’est une lecture choisie, et pas une rencontre hasardeuse cette fois. Trop tôt ou trop tard pour investir son contexte !
LZD est beaucoup de choses, alors pour le plaisir de la subversion, organisons ce chaos (sic) !
Un manifeste.
Dans le postface de la première édition, l’auteur définit son but : « comment et pourquoi se rebeller ». Vaste programme pour 650 pages et un format poche ! Alors, même si je sais qu’un style lyrique ou emphatique rend plus lisible une chronique, vous voilà exposés à lire mes sempiternels ergotements (mais chacun est libre ! vous trouverez tout en bas de la présentation un paragraphe plus lisible). Parce que à ce sujet, me vla bien mitigée, force m’est de l’avouer malgré ma bonne volonté sous influence.
Pour plagier on pourra rétorquer que se rebeller c’est bêler deux fois. Alors pour ce qui est du comment, oui. Joli manuel de combat. Harangue efficace des troupes, stratégies de management de projet dynamique, sur plus d’un an de travaux pratiques. Mais est-ce vraiment l’esprit ? Se centrer sur quelques personnages « leaders » constitue un piège infaillible pour décrire une action que l’on veut librement collective. Quand la différence entre puissance et pouvoir devient distinction entre pouvoir et autorité. Quand le charisme devient légitimité, qu’une liberté balise celle des autres.
Quand au pourquoi. Commençons aussi par les déceptions. On saisit avec virulence les tenants de la révolte individuelle. Les racines de la volonté de changement, la force vitale que Damasio cherche à exprimer. Ca oui, on y reviendra. Mais pour quoi ? Si l’idée semble forte, on appréhende peu à peu qu’elle ne se suffise que dans la rébellion justement. Le monde à combattre est bien plus construit, plus convaincant et dépaysant que l’ébauche de monde à construire. Voulu peut-être. Mais l’utopie finale (censée se déployer sur une année, soit au moins autant que les péripéties précédentes) ne séduit pas, est brouillonne et finalement ne donne plus rien à penser, rêver , développer et réinventer. Au-delà de ses écueils mis en exergue par l’auteur même (un prix de la liberté certes à admettre, mais ressemblant ici à une cacophonie caricaturale de déviance), certains aspects évitent soigneusement d’être pensés, ce qui est décevant, mais fait de ce système un idéal malsain et ingénu. C’est qu’un roman hein ! la question méritait au moins d’être posée, mais l’ambition du manuel de politique défaille du coup.
La volte devient un succédané de révolte, se construisant davantage contre que pour… Et s’achever sur un retour à la confrontation sonne moins sur un final que sur un piétinement, il n’y a pas d’explosion vigoureuse de l’être absolu, juste des frictions dont l’acmé n’est que celle de l’arrivée des effets spéciaux au cinéma, qui permettent de mettre flammes et rougeoiements dans la guérilla.
A l’opposé, le glissement de la coercition au contrôle (pas du tout science-fictif) et le théorème du carcéroviscéral sont très stimulants, avec des degrés de lecture variés (à la faveur de l’imbrication des points de vue et des nuances de celui de Capt). Je n’ai pu que recommandé ce livre à un ami qui passait des concours et me demandaient des références pour mettre en perspective la démocratie. Y a pas à dire, Damasio en face de Tocqueville ça claque !
Un concept
J’ai donc plus envie d’aller faire des roulades toute seule dans un buisson d’épines que d’un salto collectif dans l’ombre de Damasio (quoi, le personnage s’appelle Capt ? zut je me suis fourvoyée, les dehors de l’auteur prennent une ampleur frappante).
Et pourtant, pourtant (je n’aiimeuh que toi), je ne peux qu’adhérer au concept. J’avais peur de m’engluer dans un angélisme bon enfant. L’homme est bon, la vie est belle. Mais non, Damasio fait vivre ses aspirations. Il mobilise des penseurs, des pensées, prend un plaisir évident à contraindre l’esprit à sortir de ses gonds. Il séduit, fascine, joue avec les désirs, l’envie, en mettant tant des siens et en ouvrant l’espace de tous. La vigueur de l’instinct qui fulgure ce livre. L’appétit de sensualité (avec tous les sens que ce terme recouvre toujours pour moi : la mobilisation de tous les sens, pas seulement dans un sens d’excitation sexuelle) qui gorge la réalité des personnages.
Je n’ai pas trouvé le livre complexe ou percutant comme d’autres lecteurs. Peut-être que ces thèmes étant déjà pour moi des obsessions sont trop familières, et sans doutes mes déceptions et critiques partent également de là. Il reste salvateur, une ode à cet être indissoluble trop souvent contraint, une quête des Dehors, même s’il faut éviter de croire que ceux de l’auteur sont nécessairement les nôtres… Je ne sais pas dire ce dont je lui suis redevable pour la vigueur du cri.
Un roman
Une histoire relativement entraînante, même si elle sert globalement de prétexte au manifeste et au concept. Dès lors elle offre peu de surprises. Les personnages sont intéressants, voire vivifiants. Mais Damasio se concentre sur lui Capt, et du coup, en refusant de le perdre -puisqu’il incarne l’homme du dehors- l’histoire s’essoufle à lui courir après au lieu d’en profiter pour donner à d’autres personnages la dimension grandiose qu’ils appellent. Un peu frustrée, y en a dont j’aurais volontiers accompagné les galipettes voltes. L’individualité de la lutte, la liberté de l’être, auraient pu s’exprimer sans se minimiser à l’aune d’une aura supérieure. Et du coup, je ne peux m’empêcher de remarquer (à desseins -huhu-) que le rôle de la femme est un personnage secondaire au sens propre(Bdcht – cqfd -omg wtf ?). Il y en a une, c’est la copine, la muse, l’icône, mais juste une femme quoi, même si à la grâce du concept elle devient elle aussi l’incarnation d’un fantasme parfait, sensible, sensuel, intelligent, elle n’est pas acteur à proprement parlé. Je saluerais néanmoins la cohérence et l’humilité de la romance dans cet ouvrage. La liberté de n’en pas faire un absolu pour une fois, mais la légèreté de rencontres, qui pour distinctes en densité et valeur n’en sont pas moins légitimes et éloquents témoins de la victoire de la vitalité et de la spontanéité sur le consensus [mode manifeste OFF].
Question écriture… c’est d’une inventivité, d’une liberté encore, d’une pétulance dense, véhémente. S’y superposent de malicieuses références en tous genres, des citations ostentatoires foisonnant dans la richesse des raisonnements, aux allusions discrètes qui relèvent d’un plaisir de l’écriture communicatif ! Le vocabulaire, la syntaxe, font sens. Et bien sûr, la force de certaines phrases, aiguisées, lucides, axiomatiques, des citations à garder à garder devant les yeux pour projeter leur acuité sur le monde.
Un roman de SF qui ne sacrifie ni à la qualité esthétique ni à la distraction, ni à l’admiration intellectuelle et littéraire.
Paragraphe presque lisible pour fainéants ou perspicaces
En bref : j’ai beaucoup aimé, si si ! Une qualité d’écriture rare et jouissive, des personnages intéressants, même si seul le personnage principal a suffisamment de place pour nous questionner comme toute psychologie le devrait, un manifeste séduisant et un concept salvateur. LZD cherche encore trop à éveiller pour ne pas rester dans la pédagogie, et du coup passe à côté de ce qui devrait être sa force libertaire, d’autant qu’il ne parvient pas à édifier sur ses analyses acérées et sa colère envoûtante et passe donc, à mon humble avis, à côté de la claque qu’il devrait être pour respecter l’énoncé proposé.