Titre : Si c’est un homme
Auteur : Primo Levi
Edition Pocket 10/18
Genre : Témoignage
Approche:
Ce livre est le témoignage de Primo Levi sur sa vie quotidienne de déporté au camp d’Auschwitz III – Morowitz depuis son arrestation dans le maquis italien en Janvier 1943 à l’arrivée des Russes en Janvier 1945. Morowitz était un camp de travail pour hommes. Les prisonniers participaient à la construction d’une usine de caoutchouc, la Buna, qui n’a jamais fonctionnée du temps des « Lager».
Primo Levi nous propose ici sa vision personnelle.
De nombreuses phrases m’ont interpellées, vous en trouverez ici quelques-unes.
Un récit-témoignage :
J’ai beaucoup apprécié la démarche de Primo Levi qui, avec une rigueur scientifique, effectue un compte-rendu très précis et ne cherche ni à expliquer ni à juger.
Il expose simplement et douloureusement.
Cette observation lui évite d’aboutir à un récit manichéen mais lui permet toutefois de parvenir à « une connaissance diabolique de l’âme humaine » (p137)
J’ai apprécié son regard sans concession sur l’attitude de l’être humain confronté à la déshumanisation.
Primo Levi semble profondément aigri par l’âme humaine et bien que son discours cherche à être le plus rigoureux possible, celui-ci est bien trop raide, il est encore manifestement en état de choc lorsqu’il écrit ces lignes. Ce texte a été publié pour la première fois en 1947, la libération du camp est encore récente.
Pourtant, à plusieurs reprises dans son récit, Primo Levi laisse transparaitre sa colère.
Cette colère intérieure se ressent surtout lorsqu’il surprend le regard du Dr Pannwitz qui ne le regarde pas comme un être humain; il en est profondément choqué, de même lorsque le Kapo Alex s’essuie la main sur lui.
Les vingt dernières pages du livre sont différentes.
Elles constituent un appendice ajouté en 1976, elles posent des questions et apportent des explications. Ces pages présentent un homme changé, très différent de celui qui écrivait 30 ans plus tôt. Son regard s’est assoupli, il montre plus de compassion. Il s’est réconcilié avec sa propre humanité.
Plus de Passé/ Pas de Futur
Dès le début de sa déportation, Primo Levi constate que se souvenir ne peut générer que de la souffrance supplémentaire. S’il n’y a plus de passé, aucun futur ne peut exister et inversement, sans avenir, le passé n’a plus de sens.
Les déportés savaient que très peu reviendraient. Aucune issue positive n’était envisageable.
Nous ne reviendrons pas. Personne ne sortira d’ici, qui pourrait porter au monde, avec le signe imprimé dans sa chair, la sinistre nouvelle de ce que l’homme, à Auschwitz, a pu faire d’un autre homme (p81)
Comble du cynisme, lorsque les déportés évoquent leur propre destinée, ils parlent de l’unique sortie possible: la Cheminée avec un grand « C ».
Le sens des mots
Dans le triste quotidien du « Lager », certains mots perdent tout sens.
Nous disons « faim », nous disons « fatigue », « peur » et « douleur » nous disons « hiver », et en disant cela nous disons autre chose, des choses que ne peuvent exprimer les mots libres, créés par et pour des hommes libres qui vivent dans leurs maisons et connaissent la joie et la peine. (p192)
Primo Levi prend son lecteur à témoin, les valeurs fondamentales ne peuvent plus avoir de sens.
Qu’est ce que le bien, le mal, le bonheur, le malheur? Dans le camp, plus aucun point de repère ne subsiste.
Primo Levi essaie de décrire cet enfer et de le faire comprendre le mieux possible à ses lecteurs mais il se rend compte de la difficulté de cet exercice car si nous ne parlons pas le même langage comment pourrions nous comprendre?
Au bout de quinze jours de Lager, je connais déjà la faim règlementaire, cette faim chronique que les hommes libres ne connaissent pas, qui fait rêver la nuit et s’installe dans toutes les parties de notre corps… (p51)
La déshumanisation
Primo Levi s’interroge sur la machinerie mise en oeuvre par les nazis et l’analyse.
Enfermez des milliers d’individus entre des barbelés, sans distinction d’âge, de condition sociale, d’origine , de langue, de culture et de mœurs, et soumettez-les à un mode de vie uniforme, contrôlable, identique pour tous et inférieur à tous les besoins: vous aurez là ce qu’il peut y avoir de plus rigoureux comme champ d’expérimentation pour déterminer ce qu’il y a d’inné et ce qu’il y a d’acquis dans le comportement de l’homme confronté à la lutte pour la vie. (p133)
Il constate qu’au sein du Lager, les relations humaines suivent des cheminements inextricables car la survie individuelle prime. La communauté n’existe pas.
…des hommes et des hommes, des esclaves et des maîtres, et les maîtres eux-mêmes esclaves ; la peur gouverne les uns, la haine les autres ; tout autre sentiment a disparu. Chacun est à chacun un ennemi ou un rival. (p59)
S’adapter ou mourir
Primo Levi montre que les gens peuvent réagir différemment lorsqu’ils sont face à la mort.
Il décrit le processus qui pousse certains à accepter des avantages au dépend de leurs camarades. Il en a lui-même bénéficié puisqu’il travaillait au Laboratoire.
Entre les différentes populations victimes du camp se sont instaurés des rapports de dominants-dominés, de haine et de rivalité.
Il décrit les petits trafics qui s’organisent au sein du Lager. Une micro-économie parallèle se met en place avec pour toute monnaie d’échange quelques bouchées de pain et de la soupe. Primo Levi a lui-même participé à ces petits trafics (ex : trafic de balais).
Ici, il n’est pas question de choix. Pour survivre, il FAUT entrer dans ce jeu-là et ne jamais se poser de question.
Avec ceux qui ont su s’adapter, avec les individus forts et rusés, les chefs eux-mêmes entretiennent volontiers des rapports, parfois presque amicaux, dans l’espoir qu’ils pourront peut-être plus tard en tirer parti. (p136)
Un personnage, Kraus, le hongrois, ne s’adapte pas au camp. Il continue à nier leur terrifiante organisation. Il refuse d’abandonner son humanité. Sa naïveté va le tuer mais Primo Levi y est sensible et éprouve de la compassion envers lui. Il lui fait cadeau d’une histoire qui raconte un faux rêve de bonheur.
J’ai trouvé ce récit très émouvant en imaginant le bonheur éphémère qu’ a pu ressentir Kraus alors que la réalité du camp est tellement différente.
Une lueur d’espoir et une étincelle de vie
Lorsque Primo Levi rencontre Lorenzo, un ouvrier italien qui travaille à l’extérieur du camp dans le cadre du travail obligatoire, une étincelle d’humanité résiste.
Lorenzo était un homme : son humanité était pure et intacte, il n’appartenait pas à ce monde de négation. C’est à Lorenzo que je dois de n’avoir pas oublié que moi-aussi j’étais un homme. (p191)
Alors que les troupes russes approchent, les déportés, malades ou trop faibles, restés au camp sont incapables d’envisager une liberté car leur préoccupation première est de survivre encore quelques heures. Primo Levi et quelques compagnons réussissent cependant à retrouver un semblant de solidarité pour survivre: amener un poêle, chercher de quoi se nourrir.
L’après…
Dans ce témoignage, Primo Levi fait peu référence à ce qu’il a appris après le camp. Il évoque cependant brièvement la longue marche des déporté affamés et affaiblis, trainés sur les routes lors de la débâcle allemande.
Vingt mille hommes environ, provenant de différents camps. Presque tous disparurent durant la marche d’évacuation : Alberto [son ami] fut de ceux-là. (p243)
Tout au long de ce récit, Primo Lévi ne cherche pas à expliquer quoi que ce soit.
Ce n’est que dans son appendice, qu’il dit avec un peu de dérision que lors de ses conférences il devient « le présentateur-commentateur de lui-même » (p276)
Il explique que les camps étaient un secret de polichinelle, personne ne croyait en cette vision inoffensive et politiquement correcte: dire « solution définitive » pour « extermination », dire « traitement spécial » pour « mort par gaz » ou dire « transfert » pour « déportation ». (p281).
Il explique la loi du silence : « ceux qui savait ne parlaient pas, ceux qui ne savaient pas ne posaient pas de questions, ceux qui posaient des questions n’obtenaient pas de réponse ». (p285)
Il cite le poète juif allemand Heine (1797-1856) qui dans une vision prémonitoire écrivait « ceux qui brûlent les livres finissent tôt ou tard par brûler les hommes ».
Il évoque l’atmosphère de « folie incontrôlée » qui a traversé l’Europe de part en part au cours des années 30-40.
Primo Levi conclus en constatant qu’ « en vivant, puis en écrivant et en méditant cette expérience, [il a] beaucoup appris sur les hommes et sur le monde ».(p314)
En conclusion:
Lors de la lecture de ce livre, je me suis souvenue des livres suivants :
« La voleuse de livre » de Markus Zusak qui relate dans un passage le défilé de ces hommes-zombies trainés par leurs gardes dans leur fuite.
« Le liseur » de Bernhard Schlink qui évoque également la longue marche de 400 femmes mortes dans l’incendie de l’église bombardée dans laquelle on les avait parquées.
J’ai lu des articles, des livres, j’ai vu des expositions et des films.
Le plus frappant de tous restera pour moi, le film « Nacht und Nabel » (Nuit et Brouillard) présenté aux classes de 3e sur grand écran dans la salle polyvalente de mon collège et suivi d’un échange avec un « rescapé », c’était il y a plus de 30 ans et je m’en souviens comme si c’était hier.
Ce livre m’a permis de me tourner vers ces gens qu’il ne faut pas oublier.
Je remercie Primo Levi mais aussi tous ceux qui ont réussi à raconter et à nous faire don de leurs témoignages dans l’espoir de ne pas perdre la mémoire.
Hélas, l’oppression de l’homme par l’homme subsiste toujours.