Opium Poppy d’Hubert Haddad

Opium Poppy est l’histoire d’un enfant doux et docile qui sera brisé par la brutalité du monde dans lequel il vit.

Agé de 12 ans, celui que l’on surnomme l’Evanoui a grandi dans une famille d’agriculteurs chargés de la récolte du pavot en Afghanistan. Enfant de la misère et de la débrouille, il est très tôt confronté au climat de violence qui règne autour de ces cultures. Pilleurs, trafiquants et soldats se livrent une guerre sans merci, au détriment des civils. Abandonné par sa mère en raison du manque de ressources, l’Evanoui se retrouve embrigadé dans une armée terroriste. Commence alors son instruction en tant qu’enfant soldat. Cet enfant sauvage mais docile perd peu à peu ses émotions, ses sentiments, jusqu’à en oublier la peur. Conditionné pour obéir aux ordres, l’Evanoui est devenu une arme.  Jusqu’au jour où, dans un sursaut de conscience, il refuse d’obéir à un ordre meurtrier et est laissé pour mort dans un petit village dévasté. Sauvé par Médecins sans frontières, le jeune garçon va alors faire l’expérience des camps de réfugiés et s’enfuir pour un périple qui le mènera à Paris. Mais là encore, cet eldorado tant fantasmé lui offrira une toute autre réalité… Devenu enfant des rues, celui qui se fait dorénavant appeler Alam, a trouvé refuge parmi les dealers. Et quand il s’agit de drogue, la violence n’est jamais loin…

Opium Poppy est un roman bouleversant qui témoigne de la difficulté extrême d’une vie qui paraît complètement étrangère à la nôtre et qui pourtant, peut la côtoyer. L’écriture est à la fois pleine de poésie et de violence et l’auteur trouve toujours le mot juste pour exprimer des idées qui n’en sont que plus fortes. Le lecteur assiste impuissant au drame humain qui se joue sous ses yeux. Un bijou !

Delirium de Lauren Oliver

Résumé (Lecture Academy)

Lena vit dans un monde où l’amour est considéré comme le plus grand des maux. Un monde où tous les adultes de 18 ans subissent une opération du cerveau pour en être guéris. A quelques mois de subir à son tour « la Procédure », Lena fait une rencontre inattendue… Peu à peu elle découvre l’amour et comprend, comme sa mère avant elle, qu’il n’y a pas de plus grande liberté que laisser parler ses sentiments. Même si cela implique de quitter ses certitudes… « Ils prétendent qu’en guérissant de l’amour nous serons heureux et à l’abri du danger éternellement. Je les ai toujours crus. Jusqu’à maintenant. Maintenant, tout a changé. Maintenant, je préférerais être contaminée par l’amour ne serait-ce qu’une seconde plutôt que vivre un siècle étouffée par ce mensonge. »

Mon avis

Il est de ces lectures qui vous retournent complètement, vous transportent, vous font chavirer, et dont vous sortez émus, en colère, ravagés; dont vous ne sortez jamais complètement indemnes, ou jamais vraiment tout à fait. C’est ce que j’ai vécu avec Delirium : ce roman m’a tout simplement bouleversée, et bien que sa lecture remonte déjà à quelques mois, elle me hante toujours. Jamais lecture ne m’aura laissé autant de cicatrices – et je crois bien n’avoir jamais versé autant de larmes pour un livre. Je situe donc ce roman, et l’auteur qu’il m’a permis de découvrir, bien au-delà du coup de cœur : ça a été une véritable révélation pour moi.

Le sujet est simple mais original, redoutablement efficace et extrêmement bien mené par Lauren Oliver et sa plume acérée. Imaginez un monde dans lequel l’amour est considéré comme le plus fatal des maux. Où l’on lui a attribué le terme latin d’une maladie mortelle : l’amor deliria nervosa. Un monde dystopique, terrifiant, et qui, à bien y réfléchir, ne paraît pas si improbable que ça – ce qui le rend d’autant plus actuel et poignant. Un monde dont les autorités ont attribué tous les fléaux des temps obscurs passés à une cause unique : l’amour. Investis de la mission d’en guérir la population afin de garantir leur sécurité, ils ont instauré un Protocole, sorte de lobotomie que chaque citoyen subit à 18 ans, lui permettant de passer du statut de Vulnérable à Invulnérable – du statut d’être humain à celui de robot, pour dire les choses comme elles sont. Après le Protocole, et suite à une évaluation individuelle, les autorités imposent au sujet qui il doit épouser, et où il doit travailler (point de départ de la grande majorité des dystopies, l’absence de liberté dans les choix les plus personnels d’une vie étant le principal outil de régence d’un régime totalitaire). Une fois libéré de ses passions, de son humanité, le sujet est promis à une vie tranquille, protégée et heureuse – si tant est que l’on considère le bonheur comme une absence d’émotions et de sensations fortes. Une vie où une mère est incapable d’aimer son mari et ses enfants – tel est le prix à payer.
Toute l’intelligence du propos réside dans ce paradoxe : ce protocole, présenté et perçu en majorité comme une libération, condition sine qua non à la paix de l’être humain et de la société dans son ensemble, est en réalité la mort de l’âme, de ce qui fait de nous des êtres humains. Ce protocole ne guérit pas, il ne libère pas d’un danger : il est le point de départ d’un emprisonnement à vie, la fin de toute liberté individuelle.

C’est dans cet univers remarquablement bien construit, esquissé à travers un Portland dystopique, qu’évolue Lena, jeune héroïne de 17 ans sur le point d’aborder le tournant majeur de sa vie : sa majorité, son protocole, sa libération. Profondément humaine dans ses failles, faiblesses et emportements, Lena est une héroïne authentique, à laquelle je me suis tout de suite identifiée. Elle le dit elle-même : elle est une fille comme les autres, endoctrinée depuis sa naissance, élevée dans la peur de la maladie et l’attente fébrile du protocole dont elle croit fermement qu’il la libèrera, et lui permettra de commencer sa vie en toute quiétude.
Sauf que Lena n’est pas tout à fait une fille comme les autres. Dotée d’une sensibilité différente, marquée au fer rouge par la mort de sa mère, et aimant sincèrement les gens qui l’entourent, on sent en elle, dès le départ, un petit supplément d’âme, une fragilité, un vent de liberté prometteur.
Sauf que plane sur elle l’ombre du scandale, et la peur de l’hérédité : sa mère, contaminée et imperméable à toute tentative de guérison, n’a jamais suivi les règles, et s’est suicidée par amour.
Peu courageuse au début du livre, se conformant docilement à ce que l’on attend d’elle et à ce qu’on lui a toujours appris, Lena est dominée par la peur – peur de ce qui l’attend peut-être, ou peur de ce qu’elle sent de différent en elle? Mais, au fil des pages et des évènements auxquels elle se retrouve confrontée, elle se rend compte peu à peu que bien au contraire, cette date fatidique équivaudra à la mort de ce qu’elle est – et en vient à comprendre que la mort serait préférable à cette vie qu’on lui impose.

Deux personnages déterminants guideront son évolution : sa meilleure amie Hana, belle, drôle et rebelle, qui la première lui ouvrira la porte à d’autre possibles, horizons nouveaux et potentiellement dangereux; et, bien entendu, Alex, qu’elle rencontre en suivant malgré elle son amie dans ses frasques.
Alex est un personnage attachant et extrêmement touchant, que j’ai adoré. Il est un Invalide, un résistant clandestin dans les rues de Portland. Avec lui, Lena découvrira l’amour et la liberté, qui vont toujours de paire. A travers son regard, portée par son amour et le bonheur que lui procure ce qu’elle a toujours appris à considérer comme une maladie mortelle, elle apprendra à regarder au-delà des apparences, et découvrira le véritable visage, cauchemardesque, de cette société qui lui ment pour mieux la contrôler. Leur histoire est aussi belle, forte et touchante que peuvent l’être les premiers amours, d’autant plus qu’on la sait, dès le départ, condamnée. Plongés dans les pensées de Lena, nous découvrons peu à peu l’amour, les émotions exacerbées qu’il procure, et l’envers terrifiant de cette société répressive. Dès lors, les jours qui s’égrènent inexorablement vers son protocole se transforment en un compte à rebours intolérable, aussi angoissant qu’une mise à mort.
La tension monte crescendo, à travers trois parties majeures – que je ne détaillerai pas pour ne pas spoiler. Je dirais juste que certains évènements déterminants marquent un tournant dans l’histoire; le suspens s’accroît de page en page, devenant de plus en plus insoutenable et oppressant jusqu’à atteindre son paroxysme dans la dernière partie. La fin est terriblement émouvante, et tout aussi frustrante.

Si le style de l’auteur a été sujet à de nombreuses critiques – jugé trop détaillé, trop long, voire lourd pour certains, je l’ai quant à moi trouvé irréprochable. Quand le talent est au service de l’intrigue, on sait que l’on se retrouve en face d’un chef d’œuvre – et, non, je n’ai pas peur des mots, et cet avis n’engage que moi bien entendu. J’ai aimé l’acuité des descriptions, quasi-sensorielles – je pouvais presque sentir le soleil d’août me brûler la peau, et l’odeur du macadam brûlé me chatouiller les narines. Les images esquissées par l’auteur m’ont à de nombreuses reprises coupé le souffle, tant elles m’ont parues vraies, précises et poétiques à la fois. Là où de nombreux auteurs échouent, elle a su exprimer à la perfection des sensations insaisissables, qui tiennent de la magie pure : la beauté sanguinolente d’un coucher de soleil, les frissons que peuvent provoquer une simple caresse… Un point très positif aussi réside dans la construction de cet univers particulier et l’élaboration d’une mythologie qui lui est propre : placés en exergue à chaque début de chapitre, des extraits de textes de lois ou documents officiels de propagande des autorités décrivant les symptômes de l’amor deliria nervosa et les dangers qu’il comporte contribuent à donner une réalité concrète à ce monde.
Je le répète, cet auteur est une véritable révélation pour moi, et je lui voue une admiration sans bornes.

Vous l’avez sans doute compris, il m’a été extrêmement difficile de lâcher Delirium jusqu’à la dernière page – et, une fois celle-ci tournée, je me suis sentie vide et fébrile à la fois. Ce livre m’a hanté pendant plusieurs jours, et me hante encore aujourd’hui – à tel point que je ne sais vraiment pas où je vais trouver la patience d’attendre la sortie du deuxième volet de cette trilogie, Pandemonium, dont la sortie est prévue pour février 2012.
Si vous aimez la dystopie, et que vous recherchez de l’amour, des sensations fortes, de la poésie et un suspense insoutenable, alors n’hésitez plus une seconde : empressez-vous de lire Delirium, de Lauren Oliver.

Lilith

Spoutnik de Jean-Marie Piemme

« Une fois que j’aurai disparu, qui peut attester que ceux-là sur la photo sont mes parents ? Personne. Personne qui le sache de première main. Qui regardera cette photo pourra dire ce qu’il voit et pas davantage : une femme, un homme, deux personnes autour de la quarantaine, des inconnus dans un jardin, à qui on peut prêter le destin qu’on veut. Deux êtres vous fixent. Qui sont-ils ? On ne sait pas. Et dans le silence de la photo vous laissez filer votre désir. »

2008, la maison d’édition Aden décide de se lancer dans le roman. Grand tournant pour cette maison d’édition de huit ans à peine à vocation politico-sociale qui, jusque là, publiait principalement documents, essais, témoignages etc. Une nouvelle collection, Rivière de cassis,  et deux romans: Les entrailles du soleil de Nicolas Florence et Spoutnik de Jean-Marie Piemme.

Spoutnik ne vous emmène pas sur la lune, loin s’en faut. On se contente de rester en Belgique, principalement à Seraing, dans la Wallonie profonde de la deuxième moitié du 20ème siècle. Si vous vous attendiez à une fiction palpitante et rebondissante, vous n’y êtes pas du tout. Jean-Marie nous livre sa vie, tout simplement.

Simplement? Non. Suivre un modèle chronologique n’aurait pas été digne du dramaturge; narrer sa jeunesse, fidèlement, sans incartades, exagérations ou digressions n’aurait pas été suffisamment amusant. C’est pourquoi nous nous retrouvons plongés dans un livre divisé en chapitres aux noms parfois incongrus tels que « Cerises et cochons », « Culottes courtes » ou « Pourquoi marcher lentement? » dans lequel il nous raconte anecdotes et souvenirs marquants de son enfance à sa vie de jeune adulte.  Passant d’un événement à un autre, sans crier gare, Piemme use du ton frais et mutin de la jeunesse à l’imagination débordante, contrebalancée d’une sacrée dose de pragmatisme et de cynisme rétrospectif, le tout teinté d’un respect profond envers ses origines.

Ainsi, la lecture de Spoutnik n’est pas une recherche du satellite dans la nuit étoilée. Spoutnik, c’est un regard vers le bas, vers les racines profondes de la Belgique et de ces familles du siècle passé. Des us, des coutumes, de la vie de l’époque… si différente! Déjà tellement désuète dans ce début de siècle nouveau…

Et parce que pour certains c’était la réalité et que pour les autres ce n’est pas si lointain, Spoutnik n’offre pas qu’une histoire, il offre aussi un pan de l’Histoire, notre histoire.

Eloge de la faiblesse d’Alexandre Jollien

Je remercie chaleureusement Livraddict et les Editions Marabout pour ce partenariat!

Quatrième de couverture:

Eloge de la faiblesse retrace un itinéraire intérieur, une sorte de conversion à la philosophie. L’auteur, handicapé de naissance, imagine recevoir la visite de Socrate en personne. Dès lors, s’en suit un échange où de proche en proche émergent des outils pour apprendre à progresser dans la joie, garder le cap au coeur des tourments et ne pas se laisser déterminer par le regard de l’autre. La philosophie est ici un art de vivre, un moyen d’abandonner les préjugés pour partir à la découverte de soi et bâtir sa singularité. Peu à peu, une conversion s’opère, le faible, la vulnérabilité, l’épreuve peuvent devenir des lieux fertiles de liberté et de joie.

Mon avis:

Derrière cette couverture simple aux couleurs chaudes se cache un court récit d’un peu moins de 100 pages, mais un court récit qui nous pousse à la réflexion, qui chamboule notre esprit.

Même si j’ai eu un peu peur en lisant la préface (j’ai eu peur de me retrouver face à un dialogue purement philosophique), j’ai littéralement été happée par l’échange entre Alexandre et Socrate, au point d’avoir lu les 96 pages d’une traite.

Tout au long de cet échange, Alexandre nous livre des morceaux de sa vie, dont une bonne partie a eu lieu dans un centre pour personnes handicapées, des tranches de souvenirs avec ses copains, la tristesse d’être séparé de sa famille, la dureté de certains éducateurs, la routine… mais qui n’en est jamais une, son dépassement pour réintégrer une scolarité dite « normale », sa vision du monde « normal ».

Ce dialogue nous pousse à réfléchir en nous basant sur une parole de Socrate: « Connais-toi toi-même ». Qui es-tu? Comment peux-tu te définir? Qu’est-ce qui te pousse à réagir ainsi?

Une idée récurrente tout au long du récit est la notion de normalité/anormalité et nous pousse à nous demander: « Suis-je normal si je marche, je cours, je vais à l’école,… ? Suis-je anormal si j’ai besoin d’un fauteuil roulant pour me déplacer, d’appareils auditifs pour entendre, …?  » Mais en fait, peut-on se définir, se sentir, normal ou anormal? Sur quels critères puis-je dire que je suis quelqu’un de normal? Grande idée de réflexion pour moi…

Ayant plusieurs personnes « handicapées » (je déteste ce terme) dans mon entourage, le récit d’Alexandre Jollien me retourne un peu. Est-il nécessaire de toujours sourire quand on croise leur regard triste? Est-ce que notre pitié ne les blesse pas plus qu’elle ne les aide? N’est-ce pas moi la personne « handicapée » ou « anormale »?

Si comme moi vous n’avez pas peur d’être chamboulé dans vos pensées, je vous conseille de vous plongez dans ce dialogue tantôt déroutant, tantôt émouvant.


Rien ne s’oppose à la nuit de Delphine de Vigan

Tous les livres de Delphine de Vigan ont, de manière plus ou moins avouée, un caractère autobiographique. Dans « Rien ne s’oppose à la nuit », l’auteur exhume avec énormément de sensibilité le souvenir de Lucile, sa mère, peu après son suicide. Pour cela, elle mène une enquête auprès de tous ceux qui l’ont connue, frères, sœurs, amis, afin d’en dresser un portrait le plus fidèle possible. Ainsi, Delphine de Vigan alterne avec aisance le récit de vie de sa mère avec sa propre réflexion sur la difficulté d’écrire sur un être proche et pourtant insaisissable. L’écriture est à la fois éprouvante et libératrice.

L’auteur se lance donc dans une quête pour trouver l’origine de la souffrance de sa mère, en commençant par raconter sa jeunesse dans le Paris des années 50. Delphine de Vigan n’hésite pas à déterrer de sombres drames et des secrets de familles honteux, qui seront constitutifs du tempérament dépressif de sa mère. Issue d’une famille nombreuse (9 enfants), en apparence unie et heureuse, Lucile est présentée comme une jeune fille d’une grande beauté, discrète mais qui observe beaucoup. Très tôt, elle fait preuve de troubles bipolaires et semble avancer constamment au bord d’un gouffre qui ne demande qu’à l’engloutir. La folie n’est jamais loin de cet être neurasthénique et irresponsable, mais d’une grande fragilité.

Delphine de Vigan raconte, dans la seconde partie du récit, sa propre enfance et celle de sa sœur auprès de cette mère aimante mais inquiétante et dangereuse pour ses filles. Elle y évoque cette infinie solitude qui animait Lucile et la rendait inaccessible aux autres. C’est une écriture douloureuse, qui met l’histoire familiale de son auteur à nu et fait voler toutes les barrières de protection.

En conclusion, je dois dire que Delphine de Vigan nous offre un récit d’une grande qualité, qui fait preuve de beaucoup de courage et de maturité. Une excellente découverte !