Quatrième de couverture
Stefan Zweig finit de rédiger ce texte prémonitoire en 1936, en pleine montée du fascisme : il nous raconte le conflit qui opposa Sébastien Castellion (1515-1563), partisan de la tolérance, à Jean Calvin (1508-1564), le théologien. Le rapprochement entre la ville de Genève au XVIe siècle et l’Allemagne nazie, entre Calvin et Hitler, entre les disciples de Guillaume Farel, qui fit adopter la Réforme à Genève, et les hordes hitlériennes s’impose d’emblée au lecteur. Quelques décennies plus tard, la montée des intégrismes religieux, la résurgence des extrêmes droites sont plus que jamais d’actualité et cet écrit polémique n’en a que plus de force.
Ma lecture
Encore un livre acheté au moment de prendre un train, comme quoi voyager est parfois tout à fait stimulant, et parfois il conviendrait de s’en abstenir.
Après lecture de cet essai qui prend comme toile de fond les guerres de religion et autres débats théologiens, on aurait envie de s’adresser à l’être suprême quel qu’il soit en s’écriant « Eli, eli, lema sabachthani » ou, pour ceux qui doutent de leur accent araméen : « Dieu mais quelle odieuse épreuve m’as-tu envoyée là, z’y-va ?! »
J’ai commencé ce livre au gré des cahotements d’un bus, les 10 premières pages me conservaient enthousiaste (c’était la préface d’Hervé Le Tellier, envers qui je garde une rancoeur inconsolable !), les 20 suivantes me laissaient attentive. C’était l’introduction. Le reste, expédié cette nuit, ne fut que lourde redite moraliste. Bien sûr, j’ai conservé ma triste tendresse à Zweig, comme une mère regarde avec un mélange d’amour et de honte son petit chenapan qui se laisse emporter par un bel engagement, mais le sert par à coup de noms d’oiseaux.
Bien sûr l’auteur ne se laisse pas aller à la simplicité des insultes… mais franchement, il n’en est pas plus subtil dans son exhortation à conspuer l’un et admirer l’autre. Le fond du propos se veut convaincant ; il est lourd. La forme se veut démonstrative ; elle est lourde. Voilà que je me mettrais presque à me résigner à ses procédés et à adopter la bonne grosse répétition pour que l’idiot lecteur ne s’y perde pas… « Eli, eli, lema sabachthani »
Pour vous épargner la lecture voici statistiquement ce qui devrait figurer en bonne place dans le résumé, à propos de Calvin : « il ne tolérerait qu’une volonté à Genève : la sienne », « lui qui était humaniste avec ses proches, il ne reculait devant aucun moyen quand il s’agissait de sa doctrine », déclinés de mille façons (allez-y, lisez deux pages au hasard, puis deux autres…).
Castellion lui, est héroïque, droit, seul et isolé, préférant la vérité à la gloire. Un rôdeur, mais comme aucun livre de fantasy n’en fit de plus caricatural. Pas moyen de lui trouver un peu de profondeur, de lever le manichéisme creux qui rend inutile chaque page une fois que le principe du méchant et du gentil ont été saisis.
A coups de questions oratoires, « Comment ne pas trembler en lisant ces mots qu’il lui adressât ? » Zweig nous propose de nous émouvoir devant un drame qu’il transforme en farce grotesque dont il s’émeut seul, avec force sanglots et hyperboles, trop occupé à espérer pigeonner le lecteur dans la louable intention que les enjeux de la situation ne lui échappent pas.
D’accord Stefanounet, la liberté de conscience c’est important, la dictature c’est dangereux, et les dictateurs fanatiques sont des dangers level 30. Pour des lecteurs de notre époque avec Bonus XP question guerres idéologiques, tu crois pas qu’on a déjà bien compris qu’il fallait donc éviter non d’afficher nos idées, mais de les avoir ?
Rien ne manque au bouquin. Pas même le pti postface de Sylvain REINER qui nous refait le coup du suicide de Zweig, et vas-y que je te mets le témoignage d’un ami, ses lettres à Thomas Mann. On invoque aussi Freud, Aragon, (allez, pourquoi pas, j’ai écrit une post-face maman c’est la gloire, je suis un intello) pour expliquer, que mal dans sa peau, notre héros ne réussissait pas à avoir son propre combat alors que le monde contemporain le requérait, parce qu’il ne voulait le voir réduit à une « affaire juive ». Soit, dès l’intro il était expliqué que Castellion était celui que Zweig aurait voulu être.
Et notre post-farceur de rajouter que Zweig était insatisfait de Conscience contre violence, pourtant « un chef d’œuvre de plus dans la liste de ses ouvrages »… Mais pourquoi diable ne lui avez-vous pas laissé le loisir de le brûler, l’auteur n’est-il pas le plus à même de savoir ce qui mérite d’être publié en son nom ? Au moins cette réticence me réconcilie-t-elle avec la lucidité de Zweig.
Voilà, je ferme le livre frustrée, courroucée, peu encline à me dire « allez, relis les paragraphes sur lesquels ton œil a glissé rapidement, t’as forcément raté quelque chose ». J’aime beaucoup Zweig, romancier, auteur de pièces de théâtre, ET de biographies. Mais il semble avoir renoncé à son impartialité tendre et pointue pour finalement choisir un camp, et rabâcher au lieu d’analyser. Dans un dithyrambe à la liberté de conscience, c’est bien peu de confiance qu’il accorde à ses lecteurs dans leur capacité à le rejoindre sur cette impérieuse nécessité.
Alors oui, sa vie, son époque, peuvent me faire pardonner ce livre, mais pas davantage l’aimer.
Et il me vient l’envie de citer maintenant Kierkegaard, pour « me rincer l’oeil » :
« Les gens exigent la liberté d’expression pour compenser la liberté de pensée qu’ils préfèrent éviter. » La confusion est rapide, et vouloir nous imposer une de ces libertés s’avère bien dérisoire…