Tableau :
L’histoire se déroule au sein de la bonne société anglaise, loin de Londres, à la campagne.
Emma est une jeune femme libre de cœur et d’esprit.
Nous découvrons cette petite société locale au sein de laquelle s’active Emma qui en occupe la place centrale.
Une vision exclusivement féminine et partielle du monde nous est présentée ici.
Que s’y passe-t-il ? On s’invite à boire le thé. Dîners et bals favorisent les échanges et servent aussi à tromper l’ennui.
Les soirées se terminent par des jeux de cartes, des charades et par des discussions en petits groupes…souvent femmes et hommes séparés, d’un côté on parle musique et toilettes, de l’autre politique.
On organise parfois des parties de campagnes. De son côté, Emma tente, avec plus ou moins de succès, de favoriser les rapprochements entre personnes de même condition dans l’espoir de les amener jusqu’au mariage.
Vous l’aurez compris nous sommes bien éloignés du livre d’aventure et d’action.
Caractères et sentiments s’expriment en permanence au fil des pages.
Il est beaucoup question de « bonté ».
On se doit d’avoir des « pensées charitables » et de respecter les « règles de décence » et les « bonnes convenances ».
Nous assistons donc à des échanges de compliments sincères mais bien conventionnels.
Malgré cette accumulation de bons sentiments, la nature humaine est telle que chacun essaie tout de même d’imaginer ce que l’autre peut penser, ce qui est source de quiproquos amusants.
Emma présente les hommes et les femmes tels qu’elle les voit, elle.
Les hommes sont très affairés, ils gèrent leurs terres, leur patrimoine et s’occupent d’activités très sérieuses.
Ils n’apparaissent en règle générale qu’en fin de journée.
Nul ne sait précisément ce qu’ils font et certainement pas les femmes.
Emma décrit ce que représente pour elle l’homme idéal. Ainsi, il peut être laid mais se doit d’être distingué. Il doit être sérieux mais souriant. Le sens de l’humour est le bienvenu.
Emma aime les hommes respectables, bienveillants et aimables.
Ceux-ci doivent faire preuve de simplicité, être pourvu d’un caractère heureux, être bons, gentils et discrets. Ils doivent avoir de l’instruction et de l’élégance. Faire preuve de grossièretés est complètement inacceptable pour elle.
Les femmes se rencontrent, bavardent, échangent des banalités.
Les femmes sont rarement « intelligentes » sauf notre héroïne qui s’estime « intelligente » mais reconnait que c’est relativement exceptionnel pour une femme. Cette qualité n’est, selon elle, pas indispensable aux femmes qui doivent cependant avoir de l’éducation et un minimum de conversation.
Emma estime que les femmes doivent être délicieuses et belles, qu’elles doivent faire preuve de gaieté, d’entrain, d’obligeance, de gentillesse.
Pour être intéressante, une femme doit être jeune, jolie, élégante, avoir le teint éclatant de fraîcheur et de santé. Lorsqu’elle vieillie, la femme devient ennuyeuse.
Mieux vaut être riche mais si par malheur, le jeune fille est orpheline (cas d’Harriet et de Jane Fairfax), alors il faut qu’elle soit polie et bien élevée car elle peut toujours espérer contracter une alliance pour améliorer leur situation et ne pas être contrainte à travailler comme gouvernante.
Mon avis :
De manière surprenante, j’ai beaucoup apprécié l’écriture de Jane AUSTEN qui sait écrire de belles phrases au vocabulaire choisi.
L’histoire est bien construite.
Certains évènements s’enchaînent pour former une trame cohérente qui aboutit à un dénouement du plus bel effet.
Franchement, « Emma » est un livre que j’aurais aimé étudier à l’école tant la psychologie des personnages est étudiée et mériterait de s’y pencher avec plus d’attention.
J’ai particulièrement aimé les 150 dernières pages du livre, lorsque le dénouement approche. J’ai trouvé cette partie plus vivante. J’ai aimé cette succession de non-dits qui créent des quiproquos. Emma croit tout savoir des sentiments d’autrui mais se trompe. Le lecteur est invité à participer au jeu des devinettes. Qui aime qui ?
J’ai particulièrement apprécié certains personnages comme le ténébreux Mr Knightley qui représente la voix de la raison.
Il correspond à la description de l’homme idéal que nous dépeint Emma dans les trois premiers quarts du livre.
J’ai également beaucoup apprécié Frank Churchill, le fils prodigue, élevé loin de cette micro-société.
Il est celui dont on attend tout et crée l’évènement à chacune de ses apparitions.
J’ai apprécié son humour, son enthousiasme, sa spontanéité, sa fraicheur.
Le père d’Emma est également un personnage intéressant. Présenté comme le doyen, il est excessivement capricieux. Cependant, il est respecté par tous à l’exception de son beau-fils John qui le snobe un peu. Emma est au petit soin pour lui (les autres aussi d’ailleurs) : il ne doit pas être contrarié car le bonheur qui règne autour de lui en dépend. Chacun le surveille : il ne doit pas prendre froid, il doit prendre son thé à l’heure, il a besoin de tranquillité, il n’aime pas les courants d’airs, il a besoin de repos, etc etc…
Franchement, entre nous, je déteste ce type de société et je me demande comment j’ai pu supporter cela pendant 560 pages. Je n’en reviens pas moi-même. C’est le miracle de l’écriture de Jane Austen qui y porte un regard amusé.
Ce catalogue de bons sentiments, ces bavardages à n’en plus finir sur fond de banalités ont réussi à pousser ma curiosité jusqu’à la dernière page. Certaines répliques au ton affecté m’ont tout de même fait sursauter tant elles débordaient de ridicule. Dans ce registre, c’est le personnage de Mrs Bates qui est particulièrement réussi tant il est truculent de bêtises.
En conclusion : je pense qu’il faut absolument connaitre l’écriture de Jane Austen et je remercie Bookine d’avoir proposé cette lecture commune.
Ce fut une belle découverte de cet auteur et je vais réitérer au moins une fois l’expérience juste pour voir si l’effet est le même.
Note : 8,5 / 10