Challenge « Découvrons Douglas Kennedy »

La première lecture de ce challenge concernait un ouvrage peu connu de Kennedy, Les désarrois de Ned Allen (1998, traduit en 1999 en français).

Le héros éponyme se trouve propulsé d’une situation très enviable de commercial new-yorkais, au train de vie plus que confortable, à celle de chômeur, mis au ban de sa profession (il a frappé son employeur) et abandonné par sa femme. Grâce à une vieille connaissance, il parvient néanmoins à sortir la tête de l’eau, mais c’est pour mieux se jeter dans les ennuis.

Ce premier roman m’a laissée perplexe car il manque d’unité, pour l’intrigue et a fortiori pour le style. La dernière partie du récit ne manque pas de rappeler les œuvres de Grisham, en particulier La Firme, qui a été adapté pour le cinéma. C’est une impression de littérature de gare qui dominait au sortir de cette lecture. C’est pourquoi je me suis lancée dans une seconde lecture du même auteur, plus consensuelle et surtout beaucoup plus relayée par les médias, La femme du Ve.

Le héros, Harry Ricks, paraît dans un premier temps moins antipathique que Ned Allen et le décor parisien ne manque pas de charme, en particulier lorsqu’il est familier. Cependant, on a le sentiment que Kennedy s’est empêtré dans son intrigue et qu’il lui a fallu trouver une porte de sortie à tout prix, au point que l’intervention du surnaturel arrive un peu comme un cheveu sur la soupe. L’intrigue est bien ancrée dans une réalité peinte avec beaucoup de précision, et d’un seul coup tout bascule. Cela manque encore, me semble-t-il, de cohérence.

De ces deux lectures, plusieurs éléments ressortent. On peut tout d’abord reconnaître à Douglas Kennedy la qualité de savoir dépeindre à merveille des personnages englués dans les ennuis. C’est là que son style s’exprime le mieux, devient plus clair. Dans les deux romans, ce sont les passages où Ned Allen et Harry Ricks sont dans une panade incommensurable qui sont les plus délectables. L’auteur réussit à les rendre sympathiques, même s’il est parfois tentant de les secouer quand ils se morfondent. A l’inverse, quand l’auteur se lance dans la description de milieux aisés, new-yorkais ou parisiens, son style devient lourd, ampoulé, et le lecteur s’ennuie.

Enfin, ce qui m’a le plus gênée, c’est le manque de cohérence des romans. Ils semblent composés d’idées éparses, mises bout à bout, avec une logique parfois branlante, un peu comme un patchwork. Les intrigues paraissent constituées de textes écrits presque indépendamment, et assemblées pour former un roman. Pour faire le liant, rien de tel que des personnages tombés du ciel, qui jouent alternativement le rôle de sauveurs ou de bourreaux.

Je doute par conséquent de replonger de sitôt dans les œuvres de Douglas Kennedy, qui permettent de passer le temps, mais sans grand plaisir. De la littérature de gare, ou de plage.

Héritage sanglant d’Odile Barski

En guise de préambule, je tiens à remercier Livraddict et les éditions du Masque qui ont permis la lecture de ce roman d’un genre et d’un style surprenants.

Aux côtés d’Ariane Messidor, lieutenant de police aux méthodes peu orthodoxes, le lecteur se trouve embarqué pour une mission de prime abord sans grand intérêt (une décharge de pneus qui pose problème au voisinage comme au propriétaire du terrain).

Héritage sanglant, c’est la rencontre de plusieurs enquêtes de police (la décharge de pneus, l’expulsion impossible des pensionnaires d’une maison de retraite et les visites nocturnes dont est l’objet la propriété d’un défunt maestro). La curiosité d’Ariane Messidor lui fait découvrir, comme on tire le fil d’une pelote emmêlée, que ces trois affaires sont liées. Les péripéties de l’enquête policière sont convenablement construites, sans toutefois que le lecteur soit vraiment surpris. L’intervention de jeunes neo-nazis au crâne rasé est un ressort connu, mais utilisé ici sans les maladresses et poncifs habituels. Quant à l’héritage, si son intérêt ne se manifeste qu’en fin de roman, c’est symboliquement qu’il guide le récit.

Car la richesse d’Héritage sanglant se tient dans la galerie de personnages, souvent décalés et tous lestés d’une de ces blessures de la vie dont on ne guérit pas. Les protagonistes, principaux comme secondaires, font tous preuve d’un grand cynisme. Ils portent un regard lucide et sans concession sur les réalités de la société contemporaine. Ce sont d’abord les deux héroïnes, Ariane et Colombe – celle par qui se rejoignent toutes les enquêtes – qui partagent une même souffrance, héritée d’une enfance malmenée par la figure maternelle. Et puis, il y a Amade, à la fois gardienne et comptable de la décharge, qui ponctue ses phrases de citations de Saint-Augustin. Et Marquez, le peintre sans public, qui voit dans Ariane son lien ténu avec le monde. Corsin, éternel adolescent amoureux, qui refuse la réalité pour vivre dans les souvenirs. Claudine d’Archangelo, produit d’un Lebensborn nazi, qui ne vit que pour la mémoire de son maestro d’époux. Au-delà de la résolution des enquêtes, c’est l’évolution de ces personnages troublants que suit le lecteur.

Cependant, la lecture du roman est rendue parfois douloureuse par le style adopté. La part belle est faite aux phrases courtes, très courtes, souvent nominales. Cette écriture lapidaire nuit à la compréhension du texte, qui manque de liant, et parfois de logique. On est obligé de relire pour être bien sûr d’avoir saisi le sens d’un paragraphe, d’un chapitre. Quand bien même, il arrive que le doute demeure. Et l’on s’accroche aux personnages pour ne pas perdre le fil.

« L’Olympe des infortunes », Yasmina Khadra

Ce livre a été lu dans le cadre d’un partenariat avec Livraddict et Robert Laffont que je remercie de tout cœur pour cette découverte.

Résumé : Yasmina Khadra nous offre ici un conte dans l’univers des clochards. L’Olympe des Infortunes est un terrain vague proche de la mer et d’une décharge publique. Divers vagabonds et laissés pour compte y vivent. Ce sont des personnages hauts en couleur, drôles et attachants. Leur vie est organisée loin de la ville, loin du monde corrompu que l’on connaît. Il y a notamment Ach le Borgne et son protégé Junior le Simplet. Ach a tout appris à Junior, tout ce qu’il faut faire et éviter de faire, et surtout que la ville est mauvaise et qu’il ne fat pas s’en approcher. Junior est obéissant jusqu’au jour où Ben Adam, le « prophète » débarque.

Mon avis : Ce livre est mon premier Yasmina Khadra. Je ne sais pas si c’était une bonne idée de découvrir cet auteur avec ce livre-là, peut-être pas. J’ai eu du mal à me faire un avis arrêté sur cette lecture et encore aujourd’hui j’hésite encore. Je l’ai en effet trouvé très bon sur certains points et beaucoup moins sur d’autres. Étrange impression en fait.

Dès le début, j’ai trouvé l’écriture excellente. L’auteur maîtrise à merveille son texte et l’on voit qu’il s’amuse beaucoup en écrivant. On ne cesse de tomber sur des phrases et expressions croustillantes : « Quand tu te mets une idée en tête, on te décapiterait que tu n’y renoncerais pas ». Malheureusement, ce n’est pas suffisant pour captiver le lecteur. Et après l’effet de nouveauté, la première partie du livre est devenue assez ennuyeuse. Il ne se passe rien ou pas grand-chose, jusqu’à l’arrivée de Ben Adam, 150 pages après. Et malheureusement, quand il commence à se passer des choses, cela me semble bâclé et inachevé. La situation bascule en quelques phrases, on n’a aucune impression de progression.

Parlons de ce Ben Adam plus en détail. Il s’agit d’une sorte de prophète qui aurait vécu des milliers d’années, sait tout sur tout et serait là pour remettre tout le monde sur le droit chemin, pour donner à chacun une seconde chance dans le monde et la ville. Franchement, j’ai trouvé que cette apparition était ridicule, trop facile et vraiment énervante. J’ai presque eu envie de m’arrêter là, de peur que le livre se finisse sur la rédemption et la nouvelle chance de tous les vagabonds. Globalement, il y a beaucoup trop de références religieuses et d’allusions à Dieu à mon goût. Tout cela n’était pas nécessaire et est malheureusement trop présent.

Mais la fin (les toutes dernières pages) m’a vraiment réconcilié avec le livre et m’a beaucoup touché. Je vous laisse la découvrir.

Même s’il ne se passe pas grand-chose, je tiens à noter que j’ai beaucoup apprécié les portraits dressés des différents personnages, surtout ceux de Bliss et de Ach le Borgne, des personnages vraiment attachants et plein d’humanité. Il n’y a pas à dire Khadra sait peindre la nature humaine et c’est pour cela que le livre vaut tout de même la peine d’être lu.

Tout ça pour dire : Un livre à découvrir pour la plume de Khadra, son talent de « portraitiste » et pour la fin. Essayez de passer outre les références religieuses et le personnage absurde de Ben Adam.

Ma note : 3/5

La femme dans le miroir, Thanh-Van Tran-Nhut

Ce livre a été lu dans le cadre d’un partenariat avec les éditions Robert Laffont.
Merci à elles de m’avoir permis de le découvrir.

Présentation de l’éditeur :

Comment une femme du XVIIe siècle a-t-elle pu servir de modèle à un peintre du XXe ? C’est la question que se pose Adrien, hanté par la mort récente de sa femme, en reconnaissant sur une toile contemporaine le visage qui se reflète dans le miroir d’une vanité peinte trois siècles plus tôt. D’où vient que cette beauté a traversé le temps comme si des artistes n’avaient jamais cessé de l’aimer ? Devenu malgré lui l’acteur d’une aventure née sous le pinceau d’un maître hollandais, il entreprend une inquiétante enquête où l’histoire des pigments et la magie des alchimistes l’entraînent hors du domaine de la raison et lui ouvrent des portes inattendues. Aidé par un chercheur lunatique et un thanatopracteur savant, il plonge dans les mystères des passions amoureuses peut-être aussi subtils que ceux de la pierre philosophale, promesse de longue vie. Mais sur le point de percer le secret des tableaux, il comprend soudain que rien dans cette histoire n’est dû au hasard et que les véritables enjeux de cette énigme dépassent le fantasme d’un idéal de beauté.


Mon avis :

J’ai choisi ce livre, car la présentation de l’éditeur et la couverture me faisaient envie.

L’enquête policière dans le monde de l’art me semblait pleine de promesses.

J’ai eu du mal à entrer dans l’histoire…
Difficile de comprendre où l’auteure veut nous emmener. Pendant la moitié du livre, je n’ai pas compris l’intérêt d’avoir parlé du récent veuvage du protagoniste. Pour moi, ça n’apportait rien à l’histoire en elle-même, au contraire, ça la ralentissait même au point de ne pas susciter l’envie d’aller plus loin.

La mise en route est longue, très longue, trop longue… Même si les explications artistiques (l’explication de Memento mori par exemple) mettent en appétit et aident à prendre notre mal en patience, je suis restée sur ma faim. Un peu comme si on avait juste eu l’introduction sans avoir la suite… et on retrouve la même chose quand il est question d’alchimie. On se retrouve avec une quantité de données en un minimum de mots et du coup, ça devient imbuvable.
J’ai envie de comparer ce livre avec le premier tome de Le Cercle du Phénix : Les aventures de Cassandra Jamiston, à la différence que là tout ce qui concerne l’alchimie est très détaillé, parfois trop. Grâce à ce livre, les explications succinctes d’alchimie de La femme dans le miroir ont été suffisantes pour moi, mais j’ai peur que beaucoup de personnes passent à côté….

L’enquête en elle-même a quelque chose de passionnant. Les techniques d’expertise des tableaux sont très prenantes. J’ai attendu comme le héros, les résultats des analyses chimiques des pigments tout comme je suis restée perplexe sur la découverte de ce qu’il y avait derrière le tableau… On se demande où l’on va, on tâtonne comme Adrien, on se casse les dents avec lui quand tout ne va pas comme il faut, etc.

Malgré tout, il manque quelque chose pour faire de ce livre un chef-d’œuvre. Il y a un déséquilibre certain au niveau de l’histoire. Il faut la moitié du livre pour être au cœur de l’énigme puis tout va très (trop) vite. C’est dommage !

Je reste marquée par cette lecture. Nous sommes aujourd’hui à deux jours de l’anniversaire de mon fils aîné qui nous a quitté le jour de sa naissance.
Il y a quelque chose de vraiment troublant à arriver au dénouement de cette enquête maintenant…
Je ne peux en dire plus pour ne pas dévoiler l’histoire, mais ceux qui liront ce livre, comprendront ce que j’essaie de dire à mots cachés ici.

La Douane Volante, François Place

Quatrième de Couverture

Bretagne, 1914. La guerre menace. Une nuit, la charrette de la mort s’arrête devant la maison de Gwen le Tousseux, le jeune orphelin. C’est lui que vient chercher l’Ankou, pour l’emmener au pays dont on ne revient jamais… Quand Gwen se réveille, il est passé de l’autre côté, dans un monde comme surgi du passé. Dans ce pays étrange, effrayant mais fascinant, dominé par la douane volante, il va vivre des aventures extraordinaires. Gwen l’Egaré parviendra-t-il à retrouver sa terre natale ou son destin sera-t-il à jamais lié à Jorn, le redoutable officier de la douane volante? Une fresque magnifique, entre roman fantastique et récit initiatique, dans laquelle François Place révèle toute la dimension de son talent d’écrivain. Avec Gwen le Tousseux, laissez-vous emporter au-delà des frontières du réel et du temps.

Pour la première fois depuis bien longtemps, je ne sais pas par où commencer mon billet. J’ai lu « La douane volante » quasiment d’une traite, incapable de reposer le roman avant de l’avoir fini et en en ressortant sonnée, la tête remplie des brumes bretonnes. Inutile donc de dire que j’ai aimé, c’est évident, mais je ne sais comment parler de ce roman si poignant. Je vais donc commencer par le livre lui -même en tant qu’objet. Je le trouve vraiment de toute beauté. Le dessin de couverture de François Place lui-même, rappelant ainsi son passé d’illustrateur, le titre en surépaisseur et la qualité de l’impression en fait un objet que l’on aime manipuler. Cela peut paraître idiot, mais cela ajoute sans conteste au plaisir de la lecture.

Gwen, pauvre jeune pécheur de constitution maladive (d’où son surnom de Gwen le tousseux), rencontre un « rebouteux » qui lui sauve la vie. Ce « rebouteux » va le prendre sous son aile et lui apprendre les rudiments du métier, avant de mourir subitement. Nous sommes à quelques jours de la première guerre mondiale. A peu près au moment où la guerre est déclarée, Gwen se retrouve emporté dans un monde parallèle dans la  grande charrette noire de l’Ankou lui-même. Il n’a aucune idée de l’endroit où il est, il va devoir y apprendre très vite à survivre. Il va d’abord rencontrer Jorn. Jorn qui appartient justement à cette douane volante, sorte de police aux pouvoirs quasi totalitaires. Jorn aux deux visages, parfois mesquin et brutal, parfois généreux et héroïque et qui finalement va jouer le rôle du père absent. Gwen va aussi devoir lutter contre son ignorance, continuer à développer ses dons de « rebouteux », apprendre la médecine. En cela il sera aidé aussi par des « professeurs » hors du commun. Il découvrira les premières prémices de l’amour. Il va grandir…

Ce roman peut se lire à plusieurs niveaux. D’abord c’est un roman fantastique et finalement il peut se lire en tant que tel sans forcément chercher plus loin et c’est déjà un régal. Mais c’est aussi l’initiation d’un jeune, qui va étudier,  lutter contre l’ordre établi, se rebeller, fuguer, aimer, frôler les interdits et être trahi. Il en ressortira grandi et adulte, mais à quel prix ?

On plonge dans ce roman, comme on plonge dans la brume de Bretagne. On est imprégné par ce monde imaginaire peuplé de démons et d’humains. On vit dans cet univers hors du temps au même rythme que Gwen : j’ai eu peur avec lui, j’ai ressenti les mêmes indignations, cette impression de piège, de nasse, j’ai lutté avec lui pour en sortir et j’ai refermé le livre épuisée et éblouie. L’histoire est pleine de poésie, elle est dense et fluide à la fois. L’auteur est un vrai conteur qui vous transporte dans un autre monde qui fait penser à certains anciens tableaux hollandais. L’ambiance y est sombre,  parfois étouffante. Un monde dur dans lequel la médecine fait penser à Molière, dans lequel les amis ne sont pas toujours ceux que l’on pense et où les ennemis se révèlent être finalement plutôt bien attentionnés.

Quel est ce monde ? Est-ce un pays imaginaire crée de toutes pièces par Gwen pour échapper aux horreurs de la guerre ? Est-ce juste un reflet de la folie et des blessures produites par cette guerre meurtrière ?  Un monde qui engloutit les jeunes comme ils ont été « avalés » et détruits entre 1914 et 1918 ? Peut-être…ou pas ! En tout cas on ne sort pas indemne de ce roman vraiment hors du commun.
Je ne peux que le conseiller à tous, jeunes ou adultes, c’est vraiment un gros coup de cœur.

Un très grand merci à Gallimard Jeunesse de m’avoir fait découvrir ce livre exceptionnel à travers un partenariat avec Livraddict.