Lu dans le cadre du Challenge Cold Winter 2016, Menu montagne enneigée.
Camilla Läckberg
Arles : Actes Sud (Coll.«Babel Noir»)
2012, 509 p.
Traduit du suédois par Lena Grumbach et Marc de Gouvenain
Polar
La Princesse des glaces est un titre qui m’a toujours plu, il me semblait convenir aux règles du challenge, et coup de bol il s’agit de ce qu’on pourrait qualifier de début de la saga Erica Falk, puisqu’il y introduit ce personnage qui apparemment deviendra l’héroïne récurrente de Camilla Läckberg, parfait pour commencer avec cette auteur, donc.
Le pitch
Erica Falk a la trentaine, écrit des biographies d’écrivains suédois tout en rêvant de publier un jour son propre roman de fiction. Contrainte de résider quelque temps dans la maison de son enfance après le décès de ses parents, elle redécouvre la vie d’une petite ville côtière du nord de la Suède, qu’elle avait quitté pour la capitale comme beaucoup des jeunes du coin.
Un jour, on retrouve le cadavre aux poignets tailladés d’Alex, sa grande amie d’enfance depuis perdue de vue. Un meurtre maquillé en suicide.
Erica va alors jongler entre ses problèmes d’écrivain, de famille et de coeur tout en fouinant un peu pour tâcher d’en savoir plus sur ce qui a bien pu arriver à son ancienne amie. Elle mène donc sa propre enquête, épaulée par l’inspecteur Patrick Hedström, amoureux d’elle depuis toujours.
Mon avis
Comme le précise la quatrième de couverture, La Princesse des glaces est un roman policier ou le suspens se mêle à l’humour et l’émotion d’une comédie de moeurs. C’est la justesse de ce mélange des tons qui constitue à mon sens la plus grande réussite de ce livre. Tout fonctionne assez bien ensemble, sans que ces tons ne se nuisent l’un l’autre, l’humour n’empêche pas des scènes plus graves et chargées en émotion, le suspens est toujours présent, et la description pleine de tendresse de certains personnages côtoie une critique plutôt cynique de l’esprit de clocher et bien-pensant de la société suédoise. L’écriture de Camilla Läckberg décrit avec richesse les petits détails du quotidien et les déboires de son héroïne (ça sent le vécu !), que ce soit dans sa description des personnages ou dans la vie de cette petite ville côtière du nord de la Suède, quasi désertée en hiver par les touristes qui lui préfèrent la capitale.
C’est d’ailleurs durant cette période hivernale que prend place le récit, ce qui lui confère une ambiance assez particulière. Dans cette ville quasiment vidée de ses habitants, règne un calme et une paix qui relèvent presque de la méditation et amène un souffle bienvenu à une histoire par ailleurs plutôt sombre. Il y’a, malgré la dureté de certains thèmes abordés, une légèreté de ton plutôt agréable dans ce roman, amenée principalement par son duo très attachant de personnages principaux, Erica Falk et Patrick Hedström. Moi qui généralement déteste les romances greffées dans une histoire dont ce n’est pas vraiment le but premier, j’ai beaucoup aimé l’histoire entre Patrick et Erica, touchante et qui amène des moments un peu comiques et plutôt inattendus dans ce type de bouquin, tout en restant crédible.
Les personnages secondaires sont également bons, plutôt fouillés et évitent la plupart du temps les clichés. J’ai particulièrement aimé Dan et Jan.
En ce qui concerne les thèmes abordés, la critique de cette société suédoise provinciale et bien-pensante est très présente et sur divers niveaux. J’ai retrouvé ici des thèmes que j’ai vu souvent chez les auteurs de polars nordiques, ce qui n’est pas forcément un mal. Violences faites aux femmes, abus sexuels, drames familiaux, enfants massacrés par le culte du secret instillé dans une société très basée sur la religion et le culte du paraître, et qui préfère enfermer une vérité atroce dans les placards plutôt que de s’en libérer et d’affronter les regards des autres. Camilla Läckberg fait se jouer son histoire à l’échelle de cette petite ville de pêcheurs, avec son tourisme, ses petits vieux qui font des ragots, la bonne vieille famille de riches qui tient la conserverie de poisson et qui cache de sombres secrets. Et c’est ce culte du secret et ce besoin de laver son linge sale en famille qui va être le moteur de toute l’histoire.
Et c’est à la fois l’une des qualités du livre et mon principal reproche à son égard. Si cette critique d’une société bien-pensante prête à tout pour sauver les apparences est parfois très pertinente et bien traitée, certains passages tombent malheureusement franchement dans le sordide gratuit, le cliché un peu facile et un manque d’originalité. Le dénouement est en soi un thème qui a tellement été rabâché dans ce type de romans que j’ai vraiment été déçue en réalisant au fil de ma lecture que c’est vers ce type de conclusion que l’on se dirigeait.
C’est un problème du roman, même s’il m’a personnellement moins dérangé : son manque d’originalité pour tout ce qui a trait à l’enquête. J’ai l’impression d’avoir lu ce type de meurtre et de mobile mille fois. J’ai également eu une impression assez désagréable de renchérissement dans le glauque lorsque l’on découvre enfin l’histoire d’Alex, la victime. Je le sentais venir depuis un moment dans le livre, tout en espérant que l’auteur me menait en bateau et allait prendre une autre direction…. mais non. Ce n’est pas mauvais en soi, c’est juste que ce schéma de la petite-ville-bien-pensante-avec-des-secrets-dont-vous-n’auriez-pas-soupçonné-l’existence-bien-glauque commence à me fatiguer, et que même si l’on conserve ce schéma qui fonctionne bien dans un polar le fond aurait pu être plus original. Je crois que cela m’a d’autant plus déçue étant donné la qualité du roman par ailleurs.
Trois dernières petites réserves… Tout d’abord un truc pas trop grave mais qui commence à m’agacer sérieusement dans les polars, surtout lorsque, comme c’est le cas ici, je n’en vois vraiment pas l’utilité. C’est ce procédé qui consiste à intercaler dans le récit de mini-chapitres en italique sensés montrer le point de vue du tueur. Non mais vraiment ça me rends dingue ! Et ici ils ne sont pas pertinents , excepté le fait que cela permet à l’auteur de caser le titre du livre dans le texte dès la première page. Non mais sérieux ?
Ensuite, l’intrigue policière n’est pas toujours passionnante et son déroulement très classique rend le dénouement prévisible. On peut aussi déplorer quelques facilités, notamment dans des déductions faites au court de l’enquête qui sortent un peu de nulle part.
Et enfin, malgré certains personnages très bons, tous sont très stéréotypés (la femme battue, l’ado rebelle, le gentil flic, l’artiste incompris…), la plupart des personnages sont sur la corde raide entre le personnage archétype et le cliché, et certains y tombent bien salement. Le maillon faible pour moi étant les personnages type «de connards» tel que le commissaire, Jan dans une moindre mesure et surtout Lucas, qui me paraissent un peu trop monolithiques. Julia et Anders m’ont également passablement énervée, ce sont personnages caricaturaux et que j’ai du mal à trouver crédibles. De plus, même si j’ai beaucoup aimé le personnage d’Erica, je la trouve à la limite du plagiat Bridget Jones par moment, avec notamment la scène du choix de la culotte pour sa soirée qui sera familière à beaucoup je pense et pour le fait que Läckberg va jusqu’à comparer nommément les deux personnages. Pas très subtil.
En conclusion et malgré le fait que je viens de beaucoup râler, j’ai aimé ce livre, et les points positifs l’ont largement emporté sur le reste lors de la lecture. Je garde également en tête qu’il s’agit d’un premier roman et donc plutôt une belle réussite. Je l’ai dévoré quasiment d’un traite et je lirai sans hésiter les autres aventures d’Erica Falk et Patrick Hedström dès que j’aurai un peu vidé ma PAL.
Je le conseille chaleureusement, en précisant tout de même qu’il ne faut pas le lire pour une enquête pleine de suspense ou une ambiance froide à la Mankell (je le précise encore, parce que c’est ce que nous vend l’éditeur et cela risque de faire des déçus). Ne vous attendez donc pas à un thriller nordique au suspens haletant.
C’est un bon roman policier avec une intrigue classique, qui est proche des gens et avec des personnages attachants et bien écrits, une belle fresque de la vie dans une petite ville suédoise avec ses travers bien glauques mais aussi les petits bonheurs du quotidien. De l’humour qui côtoie des moments poignants ou plus sombres.
Et surtout, qui n’a pas eu envie de se jeter en bas d’un pont en terminant un bouquin de Mankell ? Ici, on a un polar suédois qui se termine de manière plutôt drôle et avec une jolie touche d’espoir, et ça, ça fait du bien.